Patronnes de bistro, gérer son comptoir après #BalanceTonBar

Il y a bientôt deux ans naissait le mouvement #BalanceTonBar. Nous l’avons régulièrement documenté dans nos pages. Mais il y avait des femmes à qui nous n’avions pas encore donné la parole : celles qui sont derrière le comptoir. En Wallonie et à Bruxelles, rencontre avec trois patronnes de bar qui aiment leur métier… et ne s’en laissent pas conter.
Louise Canu et Paul Labourie (textes et photos)

© Louise Canu et Paul Labourie

C’était comme une puissante sirène qui retentissait dans le milieu de la nuit. En octobre 2021, suite à plusieurs témoignages de jeunes femmes droguées à leur insu puis agressées sexuellement dans deux bars du quartier du Cimetière d’Ixelles, Maïté Meeus lançait le compte Instagram et le hashtag #BalanceTonBar. En une dizaine de jours, ce sont des centaines de témoignages de jeunes femmes qui sont partagés, mettant ainsi en lumière des actes longtemps restés dans l’ombre : les agressions sexuelles par soumission chimique. La plupart des témoignages relatent des faits similaires : une sortie dans un bar ou un club, un black-out, des agressions sexuelles. Le point commun, c’est une drogue, souvent le GHB, déposée à l’insu de la victime dans son verre par un autre client ou un membre du personnel.

Au fil des témoignages, #BalanceTonBar cible nombre d’adresses de Bruxelles et d’autres villes du pays, comme Liège ou Louvain-la-Neuve, avant de toucher la France. Le silence est aussi brisé autour des agressions sexuelles commises dans les cercles estudiantins et sur les campus universitaires, notamment à l’ULB et à l’UCLouvain.

Dans le contexte post-#MeToo, ce nouveau mouvement est un pas supplémentaire de franchi pour la visibilisation et la reconnaissance des victimes. Car par la libération de la parole, c’est aussi le manque de prise en charge par le personnel et la police qui est dénoncé. De nombreuses victimes se sont vues culpabilisées, ignorées, écartées des plaintes, découragées par sentiment de honte et d’isolement. Mais les victimes ne sont pas seules. Rien qu’à Bruxelles, lors de la marche du 14 octobre 2021, 1.500 manifestant·es leur exprimaient leur soutien.

Mais depuis #BalanceTonBar, qu’est-ce qui a changé ? De nombreux lieux ont été boycottés. D’autres ont recruté des “anges” pour veiller à ce que les soirées soient plus safe. En mars 2023, la députée Chanelle Bonaventure (PS) a introduit une proposition de loi pour la formation du personnel de la nuit au harcèlement et aux violences sexuelles.

  • À lire / “Les anges de la nuit”, reportage au C12 auprès des personnes dédiées à la prévention et à la sécurité des fêtard·es.

Et ailleurs ? Pour évoquer l’après, nous avons rencontré trois gérantes de bar en Wallonie et à Bruxelles. France, à Florenville, qui connaît chacun·e de ses fidèles habitué·es. Danaé, qui nous a reçu au son des Ramones (sa playlist personnelle) dans sa Cabane de Louvain-la-Neuve. Et Martine, au coquet Daringman de Bruxelles, dans le quartier en pleine gentrification de Sainte-Catherine.

France – Le Qwâré (Florenville)

“Pendant mes études, je travaillais en tant qu’étudiante au Carrefour, en crèmerie, et le soir, je bossais ici, au Qwâré. L’ancien gérant du Qwâré voulait vendre l’établissement. Moi, je devais partir faire du journalisme à Metz, mais je n’étais pas prête, je me sentais bien, ici. C’était comme chez moi. Une connaissance à moi, Laetitia, qui est désormais ma comptable, m’a dit : “France, reprends le café !” Je ne l’ai jamais regretté.

France. © Louise Canu et Paul Labourie

Je pensais au début que ça allait être dur, d’être une femme gérante de bar. En fait, ça facilite les choses. On me respecte, ici. C’est plutôt mon jeune âge qui a pu peser sur la balance. Il y avait des habitués, même si je les adore, qui se permettaient pas mal de choses, parce que j’avais 18 ans. Ils me reprenaient sur comment servir une bière, alors que j’ai été formée, et qu’eux, à part les boire, ils n’en ont jamais servi. Après, il y a toujours des gens qui savent mieux que tout le monde, j’imagine.

Je pensais au début que ça allait être dur, d’être une femme gérante de bar. En fait, ça facilite les choses. On me respecte, ici.

Ici, la journée, c’est plutôt une clientèle d’habitué·es, généralement des hommes pensionnés et le soir, ce sont des jeunes. Les étudiant·es reviennent pendant les périodes de vacances. Au Qwâré, tout le monde s’entend. Ici, c’est pas chacun commande son verre ou quoi, c’est plutôt “Mets-nous un verre, France”, chacun son tour, ils partagent, ils aiment bien se charrier. Il faudrait que vous reveniez l’hiver, on organise des petites soirées années 1980, et parfois, ils dansent ensemble.

Je suis sept jours sur sept derrière le bar et je n’ai jamais observé de remarques ou de comportements sexistes. Plein de fois, on m’a dit, en évoquant mon serveur : “Ah, mais tu as engagé un homosexuel ?”, mais pour moi, tout le monde est pareil. Comme je ne fais pas de différence, les gens acceptent ça. Je reconnais qu’on a pu morfler, en tant que femmes. Je serais bien un peu féministe, on ne lâche rien et c’est gai.

Je reconnais qu’on a pu morfler, en tant que femmes. Je serais bien un peu féministe, on ne lâche rien et c’est gai.

Avant que vous ne veniez, je n’avais jamais entendu parler de #BalanceTonBar. Ici, c’est une clientèle d’habitué·es, tout le monde a un œil sur ce qu’il se passe, contrairement aux grandes villes où ce sont des gens de passage qui ne font pas tellement attention à ce qu’il se passe et où chacun mène sa barque, quoi. C’est probablement pour ça que dans nos petits villages, on n’a pas trop ce phénomène.

S’il se passait quelque chose, si par exemple quelqu’un venait à mettre un truc dans le verre de l’autre, on s’en rendrait vite compte avec les caméras, et les habitué·es mettraient le holà. Ils sont fort à me défendre, on s’aime bien, on se protège. Pour tout vous dire, il y a même un habitué, qui a mon âge et qui m’appelle “maman”. Il était tout seul pendant le confinement, alors quand je faisais à manger pour quatre, j’en faisais un peu plus et je le déposais devant chez lui.

J’aime les gens, j’aime bien prendre soin d’eux. Mais parfois, c’est trop.

J’aime les gens, j’aime bien prendre soin d’eux. Mais parfois, c’est trop. Surtout quand il faut les raccompagner parce qu’ils ont trop bu. Purée, mais tu ferais ça n’importe où ailleurs, on te laisserait crever saoul au bord de la route, quoi. Ça me fatigue qu’on m’impose ça, j’ai ma vie privée, j’ai le café, et c’est quand même à moi de connaître leurs limites, c’est à moi de les surveiller… Ça use.”

Danaé – La Cabane (Louvain-la-Neuve)

“Je connais bien LLN, pour y avoir fait la fête quand je faisais mes études d’éducatrice spécialisée, il y a dix ans. Pour l’anecdote, je suis sortie dans ce bar avec un copain, quand c’était encore l’Onlywood. Le patron de la friterie, qui était juste en face, est venu boire son café. Je cherchais un job, à l’époque, mon ami lui a demandé s’il n’avait pas besoin d’une étudiante, il m’a répondu : “Oui, sois là dans deux heures”. J’y suis restée dix ans.

Et puis l’Onlywood a été boycotté suite aux accusations d’agressions sexuelles impliquant l’un de ses employés. Le collectif féministe La Meute [de Louvain-la-Neuve, ndlr] a dénoncé le bar sur les réseaux sociaux avec le #BalanceTonBar. Le patron a fini par mettre la clef sous la porte. Je me suis associée au gérant de l’ancienne friterie pour racheter le bar. Comme le nom d’avant était super connu, c’était un vrai challenge pour nous. On ne voulait pas être associé·es à ce qu’il s’était passé, on avait envie que le public sache qu’il y a eu un changement de direction. On l’a vachement communiqué sur les réseaux, on s’est présenté·es aux gens. La Cabane, c’est cet espace en bois chaleureux, qui évoque l’enfance, où l’on s’amuse et où on se sent en sécurité. C’est pas mal, comme revanche.

Danaé. © Louise Canu et Paul Labourie

L’Horeca est un milieu principalement masculin. En tant que gérante ou student [étudiant·e qui travaille au bar, ndlr], on doit parfois chercher sa place, et surtout prendre cette place. Je suis juste super attentive à mes étudiantes et mes étudiants. Le fait qu’elles soient à l’aise, c’est le plus important pour moi. Je leur ai toujours dit : que je sois là ou non, vous avez toujours le droit de répondre ou de mettre quelqu’un dehors. C’est vous qui jugez si c’est légitime, vous avez toujours le droit de réagir. Encore une fois, c’est une question d’être à sa place : elles sont autant chez elles ici que moi. Jusque-là, ça a toujours bien fonctionné comme ça.

Je fais vachement gaffe pendant les soirées… Je fais attention à l’ambiance, aux tables qui commencent à papoter ensemble, qui se rassemblent… Je ne suis pas là non plus à les interroger, mais j’ai l’œil.

Malheureusement, avec le travail, je n’ai pas tellement le temps de manifester. Mais j’accepte toute initiative qui va dans ce sens. Une de mes étudiantes fait partie d’un kot-à-projet féministe. Quand elle me demande si elle peut accrocher une affiche, mais oui, vas-y, placarde ! Je laisse cet espace-là, si ça peut aider un minimum. On n’a pas de dispositif comme “Angela”, c’est vrai que c’est un peu passé à la trappe. Sinon, à part le Becketts qui propose de commander tel cocktail au bar si l’on se sent en danger, et quelques affiches par-ci par-là, je n’ai pas l’impression qu’il y ait réellement des choses qui se soient faites depuis #BalanceTonBar. Il n’y a pas eu de formation, on ne s’est pas réuni·es entre gérant·es pour discuter de ça.

Je fais vachement gaffe pendant les soirées. J’ai déjà demandé à mes students d’être attentifs/ves, je circule pas mal, je fais attention à l’ambiance, aux tables qui commencent à papoter ensemble, qui se rassemblent… Je ne suis pas là non plus à les interroger, mais j’ai l’œil. J’élève la voix, je me montre plus stricte, généralement avec la petite touche d’humour derrière. Je dis les choses simplement, avec un peu de prestance. Sauf si je suis de mauvais poil. Sinon, a priori, ça passe.”

Martine – Le Daringman (Bruxelles centre)

“Je n’ai pas toujours tenu un bar. J’ai d’abord travaillé dix ans dans une maison d’accueil pour femmes. J’ai beaucoup aimé ce travail, mais je commençais à perdre mon idéalisme. Je ne voulais pas devenir à cinquante ans une assistante sociale cynique. Je me suis dit que j’allais faire autre chose quelque temps, puis j’y retournerais quelques années après. Avant d’ouvrir, je n’avais pas travaillé une demi-heure dans un bar. C’était comme jouer au café pour mes amis. Bon, et j’y suis restée. On a d’ailleurs été classé parmi les meilleurs bars du monde par le journal The Guardian.

Martine. © Louise Canu et Paul Labourie

Pourtant, quand j’ai repris ce bar il y a vingt-trois ans, c’était un établissement très populaire. Populiste, même. Le type qui tenait le bar avait des stickers avec des guns, fascistes, racistes. Les anciens habitués ont vite compris qu’ils n’étaient plus chez eux, je ne laissais rien passer. Je ne riais pas à leurs blagues racistes, et pour eux, c’était encore un bar avec des “artistes et des intellos qui n’avaient pas d’humour”. Je n’ai pas dû les mettre à la porte, le changement s’est fait tout seul, et assez vite. J’aime autant. Ce qui fait l’âme du Daringman, ce sont ses client·es, puis il y a de chouettes gens qui travaillent, aussi.

Quelqu’un qui suit une femme aux toilettes, elle qui revient pour nous dire qu’il a voulu la toucher. Tu sais tout de suite qu’elle n’a pas inventé.

Il y a toujours un noyau de régulier·es, ici, qui connaissent bien la mentalité du bar, sa vision là-dessus, et qui se manifestent tout de suite s’ils voient que quelqu’un pourrait se montrer trop proche d’une fille. Ils montrent qu’elle n’est pas seule. J’ai l’impression qu’il y a de moins en moins d’événements comme ça au fil des années, même si ça n’a jamais été très fréquent. Je pense qu’il y a un changement de mentalité, qui va dans le bon sens.

C’est déjà arrivé qu’on ait dû mettre des hommes dehors à cause de ça. Quelqu’un qui suit une femme aux toilettes, elle qui revient pour nous dire qu’il a voulu la toucher. Tu sais tout de suite qu’elle n’a pas inventé. Ce sont des choses dont on parle dans l’équipe. On travaille tous·tes dans le même esprit, on communique autour des problèmes. Pas forcément autour de réunions officielles, mais on en discute. Si quelqu’un arrive un peu trop saoul, on lui proposera un café, et si ça ne lui plaît pas, il ira ailleurs. Tout le monde le sait dans l’équipe, et est d’accord là-dessus.

Ça me paraît évident d’être féministe, sans me proclamer féministe. J’ai toujours fait tout toute seule…

Quand il y a eu #BalanceTonBar, le centre et le Cimetière d’Ixelles étaient plus touchés. Il n’y a pas eu de dialogue avec la commune ou avec d’autres gérant·es. Des personnes qui fréquentaient le bar ont placardé des stickers et ont collé une affiche de la ville de Bruxelles en faveur du consentement éclairé. J’ai lu quelque chose sur “Angela”, il y a quelques semaines à peine, du coup je me suis dit que je retiendrai ce nom, pour le mettre en place, si jamais.

Ça me paraît évident d’être féministe, sans me proclamer féministe. J’ai toujours fait tout toute seule, j’ai quitté Gand seule pour devenir assistante sociale à Bruxelles, puis j’ai repris l’établissement seule. J’ai été élevée dans cet état d’esprit là. On entend parfois que c’est plus facile d’être une femme gérante de bar qu’un homme. Les autres barmen disent qu’on nous respecte plus, c’est peut-être vrai. En général, quand je dois mettre les gens dehors, et ce sont plus souvent des hommes, ça se passe sans trop de problème. Je touche du bois.”

Six femmes qui nous nourrissent

Au menu de cet article à savourer sans modération, six portraits de femmes qui œuvrent au quotidien pour combler nos papilles gustatives…

© Simpacid, pour axelle magazine

Nathalie Pinson
La zythologie au centre de Liège

© Simpacid, pour axelle magazine

La Française Nathalie Pinson est passionnée par la bière artisanale, au point d’avoir fondé sa propre brasserie, la Brasserie des Coteaux, au cœur de Liège où elle vit désormais. “Cette envie m’est venue au départ par mon attrait général pour le goût, confie-t-elle à la RTBF (8 mars 2017). J’ai grandi dans une famille où on aimait les bons fromages et les bons vins. Et finalement, j’ai découvert la diversité des bières artisanales et j’ai été séduite !” Depuis, elle organise des ateliers divers pour faire découvrir sa passion, dont des ateliers de brassage, de dégustation ou d’associations bières/aliments. Elle conseille également des restaurants afin d’ajouter des accords gastronomiques à leur menu. Elle est donc devenue “zythologue”, c’est-à-dire une personne spécialisée dans la culture de la bière, au même titre qu’une sommelière l’est pour le vin. Et elle s’attache à déconstruire les clichés qui entourent cette boisson dans le milieu brassicole. Alors que les premiers “brasseurs” de l’histoire étaient en fait des brasseuses (voir notre article “Femmes et bière : histoires d’une reconquête”), la bière est aujourd’hui associée à un monde très masculin, “une boisson que l’on boirait uniquement dans des contextes de réunions d’hommes, devant un match de foot”, déplore Nathalie Pinson.

Euphrasie Mbamba
Chocolatière au grand cœur

© Simpacid, pour axelle magazine

Chez Euphrasie Mbamba, le chocolat est une tradition familiale : au Cameroun, son grand-père était planteur de cacaotiers, l’arbre qui donne les fèves de cacao. Après avoir exercé différents métiers, elle a fini par revenir vers cette fameuse fève, entamant en 2012 une formation pour devenir chocolatière, notamment auprès de la chocolaterie Callebaut. Un an et demi plus tard, elle ouvre une première boutique à Ciney où elle vend ses pralines et ses tablettes. Sa boutique s’appelle “Sigoji”, un mot formé par la contraction des prénoms de ses deux fils et par le nom de la baie de goji, un ingrédient que l’on retrouve dans sa toute première recette. Elle a depuis ouvert d’autres magasins à Rochefort et à Uccle. Son chocolat est éthique, grâce aux fèves des terres léguées par son grand-père, toujours gérées par sa famille. Si la récolte, la fermentation, le séchage et le stockage se font au Cameroun, la torréfaction et la transformation ont lieu en Belgique. La chocolatière espère ainsi jouer un rôle dans le développement économique des campagnes camerounaises, de plus en plus abandonnées au profit des villes principales du pays (Le Vif, 29 mai 2022). Son travail a été récompensé par de nombreux prix, dont celui de meilleure artisane de Belgique en 2017.

Émilie Many et Les Capucines
Du beurre dans les épinards

© Simpacid, pour axelle magazine

À Bruxelles, au sein du quartier des Marolles, l’épicerie sociale Les Capucines existe depuis 2003. Elle permet de se fournir en produits alimentaires et non alimentaires de qualité et à moindre coût. C’est Émilie Many qui la dirige depuis 2016. “Dès que quelqu’un arrive ici, c’est un vrai client. Il vient poser des choix pour acheter ce dont il a besoin et envie. C’est une dynamique différente des banques alimentaires où les bénéficiaires sont plus passifs”, explique-t-elle à La Libre (7 août 2019). Les client·es sont généralement suivi·es par des services sociaux bruxellois partenaires, qui les orientent vers cette structure. Francesca, cliente, met en avant le rôle social de l’épicerie : “Suivre un régime diabétique, cela coûte cher. Comme mon argent part dans l’alimentation et la santé, je ne peux plus me faire plaisir. Je suis prisonnière à la maison. L’épicerie a changé ma vie. […] Grâce aux bas prix de l’épicerie, je peux même me permettre certaines sorties. Les clients de l’épicerie sont devenus comme une famille pour moi, et mon diabète a baissé depuis que je viens ici.” L’équipe des Capucines prodigue des conseils et organise tout au long de l’année des activités autour de l’alimentation, comme des ateliers cuisine.

Zoila Rosa Palma
La gentillesse en cornet

© Simpacid, pour axelle magazine

Depuis 12 ans, Zoila Rosa Palma tient la célèbre baraque à frites située place Saint-Josse, à Bruxelles, et dont l’activité remonte à 1931. À la suite d’un parcours chahuté, Zoila Rosa Palma, enseignante dans son pays d’origine, l’Équateur, arrive en Belgique dans les années 2000 et trouve un travail dans le secteur du nettoyage. Sa chance lui sourit quand, en 2009, elle découvre que la friterie, qu’elle fréquente régulièrement, est à la recherche d’un·e concessionnaire pour remplacer la personne qui gérait les lieux depuis les années 1970. “Quand j’ai vu la friterie fermée avec un petit papier, j’ai dit à mon mari : Moi, je suis capable de faire ça. Si je dois nettoyer vingt chambres, pourquoi pas tenir une friterie ? Et comme ça, je peux parler avec les gens, je peux rigoler…”, raconte-t-elle aux Grenades – RTBF (27 mars 2021). Elle s’inscrit comme indépendante, suit une formation à Namur et, en février 2011, devient la nouvelle gérante de la baraque à frites ! Elle est connue pour son attachement à la recette belge. “Dans mon pays aussi, il y a des frites, mais on les sert dans une charrette, et on les cuit qu’une seule fois. On les appelle les “salchipapas”. […] Je préfère ici, on goûte mieux la pomme de terre !”, confie-t-elle.

Sandrine Goeyvaerts
In vino veritas

© Simpacid, pour axelle magazine

Originaire de Liège, Sandrine Goeyvaerts a obtenu son diplôme de sommelière en 2003 avant de devenir la première femme à remporter le prix de première sommelière de Belgique junior. Après avoir travaillé dans la grande distribution, elle devient caviste en 2010 au sein de la cave Lacroix Vins  à Saint-Georges-sur-Meuse. Elle a écrit sur le vin et ses différents aspects dans plusieurs revues et journaux, dont Le Soir, où elle est reconnue pour ses connaissances pointues et son humour acéré. En tant que caviste et sommelière, elle dénonce régulièrement le sexisme dans la profession et prend position contre “les vins de femmes”, supposément plus légers ou sucrés. En 2016, elle lance sur les réseaux sociaux le hashtag #WomenDoWine (“Les femmes font du vin”) pour visibiliser les femmes qui travaillent dans ce secteur. Une action suivie, en 2017, par la création de l’association Women Do Wine, exclusivement composée de femmes, un réseau interprofessionnel d’échanges et d’entraide. Elle a publié chez Nouriturfu plusieurs livres consacrés au milieu vinicole dont Vigneronnes : 100 femmes qui font la différence dans les vignes de France en 2019 et, en 2021, Manifeste pour un vin inclusif qui explore les inégalités dans ce milieu.

Sarah Remy
Aux petits oignons

© Simpacid, pour axelle magazine

À Comblain-au-Pont, au Jardin de la Fouarge, Sarah Remy s’est lancée dans le maraîchage en traction animale il y a presque dix ans. Pétula, son cheval de trait ardennais, remplace le tracteur et les autres machines nécessaires à la production agricole. Un gain de temps considérable pour la jeune maraîchère, mais qui a aussi d’autres avantages. “Un cheval est moins onéreux qu’un tracteur, surtout vu le coût de l’énergie aujourd’hui. Moi, je ne dois pas me préoccuper du plein, le plein est toujours là. Elle m’apporte aussi un respect du rythme de travail. C’est un être vivant, je dois faire attention à son rythme et donc au mien de manière naturelle”, explique Sarah Remy à la RTBF (12 mai 2022). Ainsi, elle propose en vrac ou en panier de nombreux légumes et petits fruits, cultivés sans pesticides ni engrais chimiques. Ils sont vendus directement au jardin, sur des marchés et à des restaurants de la région. Pour la maraîchère, le Jardin de la Fouarge est un lieu de production et de vente mais aussi un lieu de rencontres et d’apprentissage. Ayant récemment fait l’acquisition d’une nouvelle parcelle, Sarah Remy souhaite repenser son métier en s’inspirant de l’agroforesterie, l’association de culture de légumes et d’arbres fruitiers.

Rencontre avec Sherin Khankan, la première femme imame du Danemark

L’été dernier, nous avons rencontré Sherin Khankan, première femme imame du Danemark, dans la mosquée féministe qu’elle a cofondée à Copenhague en 2015, The Mariam Mosque. Elle nous a parlé de la genèse de son engagement et de son travail pour l’égalité.

Sherin Khankan en 2016. © Linda Kastrup / Scanpix Denmark / AFP

Nous avons rendez-vous à la Mariam Mosque (“la mosquée Mariam”), une mosquée féministe en plein centre de la capitale danoise. Loin des grands minarets de notre imaginaire collectif, l’espace se situe dans un immeuble traditionnel. Nous arrivons dans une salle lumineuse aux murs écrus et à l’ambiance chaleureuse. Face à nous, des femmes et des hommes assis·es à la même table, travaillant ensemble. Peintures et calligraphies habillent les murs, dont un portrait de Marie – Mariam en arabe – qui, nous l’apprendrons plus tard, lui fut offert à Bruxelles. Des tapis aux tons rouges couvrent le sol. Nous enlevons nos chaussures, comme il est coutume de le faire. Nous sommes accueillies par Sherin Khankan, première imame du Danemark et de la Scandinavie et cofondatrice de la Mariam Mosque ; par Stefanie Vester Kelani, membre du conseil d’administration et apprentie imame ; et par Jonas Mirza, un bénévole et membre actif de la mosquée.

Rendre aux femmes leur place dans l’Islam

Retour en arrière. Damas, 1999. Sherin Khankan a quitté son Danemark natal pour étudier en Syrie. Elle commence à nourrir une réflexion autour de la place des femmes musulmanes alors qu’elle réalise un mémoire sur le soufisme et l’activisme islamique dans la mosquée Abu Nour, l’un des plus grands centres de l’activisme islamique sunnite en Syrie. Tous les vendredis, elle se rend au prêche du grand Mufti de Syrie (le plus haut représentant musulman sunnite officiellement nommé de l’administration du pays), Sheikh Ahmad Kaftaro. “Je me demandais pourquoi nous n’avions pas d’imames femmes, pourquoi nous étions moins visibles et relayées aux balcons pendant que les hommes étaient au premier étage à la mosquée. Je me trouvais au milieu de femmes remarquables, dotées d’un grand savoir. Pourquoi n’étaient-elles pas avec les hommes ? Pouvaient-elles s’imaginer un jour devenir imame ou Mufti ?”, nous raconte-t-elle, 23 ans plus tard, en anglais.

Je me demandais pourquoi nous n’avions pas d’imames femmes, pourquoi nous étions moins visibles et relayées aux balcons pendant que les hommes étaient au premier étage à la mosquée.

À son retour, elle lance la première organisation de leaders et intellectuel·les musulman·es à être dirigée par une femme au Danemark, “Critical Muslims”. “J’avais besoin de créer un espace de leadership musulman féminin et aussi une communauté d’hommes et de femmes musulman·es avec une interprétation différente de l’Islam, avec une approche plus orientée vers le soufisme [une dimension intérieure spirituelle de l’Islam, ndlr] et le féminisme.” Avec Critical Muslims, elle rédige un manifeste publié quelques années plus tard dans le média danois Politiken. Les prémices de la Mariam Mosque y sont esquissées : un safe space pour les femmes musulmanes organisé par des femmes imames.