Rencontre avec Jeanne Dandoy : “Les mères victimes de violences sont des héroïnes, on ne le dit pas assez !”

L’actrice et metteuse en scène namuroise Jeanne Dandoy revient avec un nouveau spectacle fort et solaire : Merveille. Elle nous explique pourquoi elle a choisi de mettre en lumière une femme et son enfant, victimes de violences conjugales et intrafamiliales.

© Hubert Amiel

Portée par la mise en scène et l’écriture de Jeanne Dandoy, la pièce Merveille, jouée jusqu’au 18 février au théâtre des Martyrs à Bruxelles, aborde la thématique des violences conjugales et intrafamiliales. Ce thriller poétique et chorégraphique nous emmène de façon bouleversante sur le trajet d’une mère qui s’extirpe avec son enfant des ténèbres pour accéder à la lumière d’une journée douce et enfin, sereine. Il nous raconte la résilience d’une “mère veilleuse” (jouée par Amandine Laval), accompagnée par une bonne fée (jouée par Jean Fürst). “Mère veilleuse”, en clin d’œil sorore à l’asbl du même nom et qui regroupe des mères qui veillent… des “merveilles”. L’héroïne est à l’image des témoignages audio recueillis précieusement auprès de femmes survivantes, ayant sauvé leurs enfants des violences (ces témoignages sont mis à disposition du public, à l’entrée de la salle de spectacle). Merveille nous emmène dans un voyage sensoriel qui touche à un nouveau genre scénographique ! Innovant au théâtre, ce réalisme magique nous rapproche des émotions et des sensations d’une mère qui accomplit une série de tâches ménagères dans une urgence inexpliquée…

Nous avons rencontré Jeanne Dandoy à l’issue de l’avant-première de sa pièce au théâtre des Martyrs, à Bruxelles, début février.

Pourquoi as-tu choisi d’aborder la thématique des violences conjugales et intrafamiliales dans Merveille ?

“Parce que cela concerne quatre femmes sur dix – des dizaines d’entre elles étaient dans la salle aujourd’hui… Et en fait, quand on dit “quatre femmes sur dix”, ça concerne aussi beaucoup d’enfants ! C’est énorme et cela me touche particulièrement. Cela me semblait être une problématique majeure à aborder dans cette pièce.”

© Annah Schaeffer

C’était donc important pour toi de montrer les mères mais aussi les enfants.

“Oui, c’était important tout simplement parce qu’en fait, on ne les voit jamais ! Ces choses-là ne sont jamais mises sur un plateau de théâtre, ou alors dans une forme de fiction-documentaire – je ne critique pas cette démarche, c’est simplement toujours cette forme-là qui est employée.”

Selon toi, qu’est-ce qu’il y a de particulier à mettre en scène une mère et son enfant face à ces situations de violences quotidiennes ?

“C’est comme si ce sujet ne “méritait” pas les “grandes formes”, les formes dites plus “nobles”, et je mets mille guillemets, avec plus de moyens, de grands plateaux, un décor avec beaucoup de choses, des figurants, des bazars… avec de l’argent, en fait. Je ne veux pas dire que les “petites formes” ne peuvent pas être bien, mais c’est comme si ce sujet était cantonné à ces “petites formes”. Comme si, aussi, il fallait d’office tuer les héroïnes de ces fictions-là. Ou qu’elles ne soient même pas des héroïnes, qu’elles soient juste dans un sac poubelle à la fin ! Contrairement au héros qui, en général, est l’inspecteur très malin ou le criminel.”

Dans Merveille, la mère sauve son enfant, elle se sauve elle-même. Est-ce que cela te permet de rappeler que partir est un droit, pour ces femmes et pour ces enfants ?

“Oui, je voulais parler de la résilience, et du fait qu’on peut s’en sortir. On ne parle déjà pas assez de celles qui meurent, mais en fait, il y en a aussi plein qui s’en sortent ! Je pense que si on avait plus de modèles de femmes qui s’en sortent, peut-être qu’il y en aurait encore plus qui s’en sortiraient ! Oui, c’est complètement invisibilisé.”

Quelles ont été tes références ou tes inspirations pour créer cette pièce ? As-tu trouvé des personnages du théâtre, du cinéma, des personnes autour de toi qui t’ont inspirée ?

“Non, j’ai eu de très mauvaises héroïnes ! J’étais fan de la Petite Sirène. Je ne parle pas de celle de Disney, mais de celle d’Andersen, qui se sacrifie complètement pour son prince. Elle se transforme en écume et va heurter, dans les vagues, le bateau du prince lors de la nuit de ses noces avec une autre. C’était ça, mon héroïne, quand j’étais petite fille, et cela n’amène pas à grand-chose. Donc, il faut faire un gros travail pour se dire : “Cela ne me convient pas. Cela m’amène à faire de très mauvais choix dans ma vie, à reproduire des choses sur scène que je n’apprécie pas.” Et c’est possible d’avoir d’autres modèles !”

As-tu incarné ces héroïnes qui ne te conviennent plus ?

“Oui, je les ai incarnées dans ma chair. Je suis aussi actrice et j’ai joué énormément de personnages : qu’on frappait, qu’on violait, qu’on violentait, qu’on traînait par terre, tout ce qu’on peut imaginer… Et je commençais à me poser des questions : pourquoi c’était toujours ça qu’on voit et pourquoi jamais autre chose ?” Alors que les hommes peuvent s’identifier à d’autres récits. J’ai certes joué de magnifiques rôles, mais c’était toujours des archétypes féminins qu’on me proposait de jouer.”

Selon toi, ce changement des représentations implique de nouveaux modèles au théâtre et au cinéma ?

“Oui, on a besoin de nouvelles héroïnes, et de héros aussi ! J’ai un petit garçon, et j’ai envie de lui donner d’autres modèles, d’autres héros. Je ne peux pas supporter qu’il revienne de l’école en ramenant des armes et en voulant jouer à la guerre alors qu’avant l’école, il ne voulait pas jouer à la guerre. Malgré tout, il y a de la relève, je le sens !”

© Hubert Amiel

Est-ce que tu penses que ton regard de metteuse en scène, en tant que femme, permet d’apporter cette transparence sur l’expérience vécue par le personnage féminin ?

“Non, il y a des tas de femmes qui font de la mise en scène, mais cela ne veut pas dire qu’elles ont un “regard féminin” ! Et cela ne veut pas dire qu’elles ne traitent pas les femmes comme des objets sans s’en rendre compte. Parce que je l’ai fait aussi. On est tellement habitués à ça. On a tellement l’esprit colonisé par ça que c’est très, très difficile de changer. Il faut faire un très gros travail, je pense. J’ai foi en la prochaine génération ! Et chez les hommes, les femmes et tous genres confondus, je vois qu’il y a une réflexion beaucoup plus importante.”

Que conseillerais-tu aux mères et aux enfants victimes de violences commises par leur partenaire ou dans le cadre de la famille ?

“Partez, car vous ne gagnerez rien en restant dans cette situation. C’est difficile, mais partez et faites bien attention parce que c’est le moment où les femmes partent, qu’elles risquent leur vie. Partez… en vous préparant bien !”

Selon toi, quel est le regard de la société sur ces mères et ces enfants et quel serait le regard que tu souhaiterais que la société adopte face à eux ?

“Je n’ai rien à dicter à la société. Je pense que, malheureusement, on est toujours enfermés dans de très, très vieux schémas. C’est très dur d’en sortir parce qu’il y a des siècles d’organisation de la société. C’est très pratique de donner ces rôles aux femmes. On voit bien qu’on les émancipe quand on en a besoin : lorsque les hommes sont au combat, les femmes peuvent travailler parce qu’on a besoin qu’elles produisent pendant la guerre. Je ne dis pas que la société traite mieux les hommes. Les hommes sont victimes de cette même oppression. Je pense que la société nous met la tête à l’envers. Rien n’est bon pour personne dans ces schémas et ces rôles qui nous sont assignés – ni pour les femmes, ni pour les hommes. J’espère, j’appelle à un changement, à une vraie prise de conscience ! Maintenant, si on veut qu’il y ait un changement pour un groupe de personnes opprimées, cela veut dire qu’il y a un autre groupe qui devra perdre quelque chose, un privilège. Personnellement, je suis d’accord de renoncer à mes privilèges.”

Quels sont vos projets pour 2023 et les années à venir ?

“Je n’ai que des projets qui vont dans ce sens-là, des héroïnes résilientes, qui, d’une manière ou d’une autre, s’en sortent ! J’aime bien “rectifier” les histoires, donc ce sont beaucoup d’adaptations de mythologies contemporaines. D’ailleurs, ma prochaine pièce qui sera jouée ici, au théâtre des Martyrs, sera une revisite du roman Rebecca, de Daphné du Maurier. Toujours sous le prisme du “female gaze”, on va beaucoup explorer la littérature, en tout cas le genre. Les codes de genre comme au cinéma, cela n’existe pas au théâtre ! Pourtant, au cinéma, on fait beaucoup ça : le genre fantastique, le thriller… J’ai envie de faire ça au théâtre. J’ai un peu commencé dans Merveille [le personnage principal découvre dans sa poubelle le corps d’une personne qui n’est alors pas nommée, et la pièce se construit autour de ce mystère, ndlr]. Voilà ! On va très fort explorer ça. On va aussi travailler sur les femmes dans les maisons, sur “le cycle de la peur” qui découle de cet enfermement dans l’espace domestique ! Avec l’adaptation de romans comme Rebecca, Frankenstein de Mary Shelley, le thème des femmes dans la maison sera au centre de ce travail, autour des questions suivantes : comment font les femmes dans la maison, comment le fait de garder les femmes à la maison peut engendrer de la peur, et comment réagissent-elles à ça ?”

Les maxi-dégâts des “microagressions” racistes

Savez-vous que le racisme et les discriminations peuvent entraîner des conséquences néfastes sur la santé des personnes qui en sont victimes ? C’est ce que développe la psychologue clinicienne et psychothérapeute Yaotcha d’Almeida. Elle a publié un essai intitulé Impact des microagressions et de la discrimination raciale sur la santé mentale des personnes racisées, en prenant l’exemple des femmes noires en France. axelle l’a rencontrée pour parler avec elle de ce sujet, trop peu traité.

Yaotcha d'Almeida. D.R.

Pourquoi vous intéressez-vous à l’impact des microagressions et de la discrimination raciale, notamment chez les femmes noires en France ?

“Dans mon parcours – j’ai une formation en sociologie et en anthropologie –, c’est une question qui m’habitait et que j’ai eu envie de creuser lorsque j’ai fait un mémoire de recherche en psychologie pour mon master 1. D’autant plus que je n’avais jamais lu d’articles à ce sujet en psychologie clinique [une branche de la psychologie qui considère un·e patient·e dans sa globalité et dans sa singularité, ndlr]. Cela me tenait donc particulièrement à cœur. Ce sujet était aussi l’occasion de créer des discussions autour de moi, surtout entre femmes, même s’il m’arrivait aussi d’en discuter avec des camarades masculins. Je voulais apporter à cette question un éclairage scientifique.”

L’Harmattan 2022, 96 p., 12 eur.

Vous êtes une femme noire, cela a-t-il joué un rôle dans le choix de ce sujet ?

“Exactement, je suis avant tout une femme noire vivant en France. Je me rendais compte de l’impact de toutes les remarques qui m’étaient destinées, même si à l’époque, avant cette recherche, je ne les désignais pas encore comme étant des “microagressions”. C’étaient soit des propos ou comportements qui n’étaient pas directement racistes mais que je percevais comme tels, soit des agressions qui l’étaient sans ambiguïté. Je pense aussi à tous ces empêchements : tout ce qu’on m’empêchait de faire ou que, moi-même, je m’empêchais de faire. Ou encore quand, à l’école, on me disait : “Tu ne pourras pas faire telle chose parce que ça va être compliqué pour toi”.

Ce qui m’a le plus motivée à travailler sur ce sujet, c’est le film Ouvrir la voix, d’Amandine Gay. Pour la première fois, je voyais mon expérience de femme noire portée à l’écran. Je me rappelle la réponse d’une des personnes interviewées qui disait qu’elle avait voulu aborder la question de la couleur de peau dans le cadre d’une psychothérapie et qu’il y avait eu un gros malaise, qu’elle avait senti que c’était impossible. Cela m’a rappelé une expérience personnelle : on m’a dit que le racisme, c’était “dans la tête”. Recevoir ce genre de commentaire dans le cadre protégé d’une thérapie, c’est une violence supplémentaire. On est en état de vulnérabilité, on va voir un·e spécialiste parce qu’il y a une souffrance et lorsqu’on aborde cette question, c’est l’invalidation. J’avais donc très à cœur d’aborder cette question du point de vue de la psychologie clinique.”

Journalistes d’hier, elles nous éclairent

On aurait pu en citer bien d’autres… Des femmes, pionnières du journalisme, ont creusé des sillons. Aujourd’hui, nous continuons, dans leurs traces.

© Candela Sierra, pour axelle magazine

Séverine (1855-1929)
“Journaliste debout”

Séverine (1855-1929) © Candela Sierra, pour axelle magazine

Caroline Rémy a 25 ans quand elle devient, en 1880, la secrétaire de Jules Vallès, fondateur du journal communard Le Cri du peuple. À la différence de nombre de ses collègues masculins que Vallès qualifie de “journalistes assis”, Caroline se rend “sur le terrain”. Première femme à diriger une rédaction en France, celle qui est devenue “Séverine” remplace son mentor et ami après sa mort en 1885. Libertaire et déjà féministe, elle se trouve isolée parmi les marxistes de la rédaction qu’elle juge “dogmatiques”. Elle claque la porte en 1888 pour vendre sa plume à qui la veut, journaux royalistes et antisémites compris. En 1897, elle rejoint La Fronde, journal féministe fondé par son amie Marguerite Durand. Elle couvre le procès Dreyfus, défend la cause du capitaine et accompagne la fondation de la Ligue des droits de l’Homme. Défenseuse du droit de vote des femmes mais aussi – rare chez les suffragettes – de l’avortement, Séverine documente son époque en même temps qu’elle embrasse les combats émancipateurs. Elle affirme un style empli de ses émotions et revendique d’observer le monde depuis un point de vue. Lorsqu’elle s’éteint en 1929, elle a signé plus de 6.000 articles, dont le premier jamais écrit sur les féminicides comme phénomène social, “Tueurs de femmes”, en 1896.

Gerda Taro (1910-1937)
Montrer et résister

Gerda Taro (1910-1937) © Candela Sierra, pour axelle magazine

Gerda Pohorylle, dite Gerda Taro, est morte renversée par un char en juillet 1937 à l’est de Madrid. Elle allait avoir 27 ans et couvrait la révolution espagnole comme photographe pour des journaux français. Nombre de ses clichés ont été attribués à son compagnon, le photojournaliste “Robert Capa”, fondateur de l’Agence Magnum. Ironie : c’est elle qui a construit le personnage de Robert Capa, supposé célèbre reporter américain, pour vendre les photos d’Endre Ernő Friedmann, exilé juif hongrois, photographe antinazi qu’elle rencontre à Paris en 1934. Juive allemande, elle s’y était réfugiée après avoir été emprisonnée à Leipzig pour avoir distribué des tracts contre Hitler. Elle fréquente les cercles d’exilé·es politiques et travaille dans une agence photo. Elle veut agir contre l’expansion du nazisme : elle prend un pseudonyme pour signer les articles qu’elle vend à la presse de gauche et se forme à la photo. En 1936, elle part avec Endre en Espagne pour documenter le soulèvement populaire contre Franco. Lorsqu’elle est fauchée par le char, Gerda s’était éloignée pour travailler seule, car son nom disparaissait des publications qu’elle produisait avec son compagnon.

Les saint-simoniennes (1832)
La naissance prolétaire de la presse féministe

Les saint-simoniennes (1832) © Candela Sierra, pour axelle magazine

“Comprenons notre puissance”, affirme la une de La Femme libre en août 1832 à Paris. Désirée Véret, Reine Guindorf, Suzanne Voilquin et Jeanne Deroin viennent de fonder le premier journal produit par et pour les femmes en France. Modiste, lingère, brodeuse et institutrice, elles se sont rencontrées rue Monsigny, dans une communauté qui prône l’égalité socialiste mêlée à la mystique chrétienne de “l’amour” : les saint-simoniens.
Exigeant l’égalité réelle, elles quittent le groupe pour créer les “saint-simoniennes prolétaires”. Dans la non-mixité, elles ont pris conscience qu’elles forment un groupe social mais refusent l’institutionnalisation de la séparation entre hommes et femmes. Elles ne veulent pas d’une place réservée mais la possibilité de toutes les occuper. Leur outil sera un journal autofinancé. Dans La Femme libre, puis La Femme nouvelle ou L’Affranchissement des femmes, les ouvrières écrivent leurs réflexions, leurs expériences, leurs désirs les plus intimes et même leurs désaccords. Outrepasser collectivement les règles de la bienséance, comme apprendre à écrire et à débattre, fait partie du projet pour donner naissance à une union de toutes les femmes, à partir d’une pratique totale de la liberté.

Shireen Abu Akleh (1971-2022)
La voix de la Palestine

Shireen Abu Akleh (1971-2022) © Candela Sierra, pour axelle magazine

“J’ai choisi le journalisme pour être avec les gens. Il n’est peut-être pas facile de changer la réalité mais, au moins, je suis en mesure de transmettre leurs voix au monde”, résumait Shireen Abu Akleh, journaliste américano-palestinienne, au magazine Newsweek en 2021. Le 11 mai 2022, à 6h33, la reportrice est tuée d’une balle dans la tête alors qu’elle couvre l’actualité aux abords du camp de réfugié·es de Jénine, dans le nord de la Cisjordanie. La balle a été tirée par un soldat israélien. La Palestine se lève avec la nouvelle : son visage s’affiche sur les écrans des cafés où la chaîne Al Jazeera tourne en boucle. Née à Jérusalem en 1971, la journaliste travaillait pour cette chaîne qatarienne depuis 1997 : elle incarnait la Palestine pour le monde arabophone. Restée célibataire, toujours sur le terrain, Shireen Abu Akleh rendait compte de chaque opération israélienne, interrogeait les autorités palestiniennes sans langue de bois et donnait la parole aux familles frappées par l’arbitraire de l’occupant. La légende qui l’entoure dit qu’elle a rencontré chaque famille de Palestine. Émaillées par des attaques de l’armée israélienne, ses funérailles ont mobilisé une foule jamais vue depuis ​​la mort de Fayçal Husseini, figure politique palestinienne, en 2001.

Eugénie Rokhaya Aw Ndiaye (1952-2022)
L’exigence africaine

Eugénie Rokhaya Aw Ndiaye
(1952-2022) © Candela Sierra, pour axelle magazine

À 18 ans, Eugénie Aw rejoint les équipes de Dakar-Matin, organe de presse unique du Sénégal indépendant. Le président Senghor dirige le pays d’une main de fer face à ses opposants, qui le considèrent trop docile vis-à-vis de l’ancien colon. Rare femme journaliste à l’époque, Eugénie Aw participe aussi à la rédaction de Xare bi (“La lutte”, en wolof), journal clandestin qui investigue sur les abus du régime. Arrêtée en 1975, elle est emprisonnée dans des conditions si difficiles qu’elle perd l’enfant qu’elle porte. Licenciée, elle reprend sa carrière dans la presse catholique et s’intéresse à la situation des femmes. En 1980, elle organise un séminaire des femmes journalistes à Dakar. Partie étudier au Québec en 1988, elle s’y installe. Participant à des missions des Nations Unies, la journaliste se trouve au Rwanda à la veille du génocide des Tutsis : c’est la déflagration, elle décide de rentrer au pays pour “former une génération de journalistes respectueux des lois universelles du métier et sensibles aux réalités de leur continent”. Chapeautant école et conseil déontologique des journalistes, à la veille de sa mort, Eugénie Aw Ndiaye était devenue une référence journalistique majeure du Sénégal et sur le continent.

Anna Politkovskaïa (1958-2006)
“Citoyenne” morte pour la vérité

Anna Politkovskaïa © Candela Sierra, pour axelle magazine

En octobre 2006, la journaliste russo-américaine Anna Politkovskaïa est assassinée par balle dans la cage d’escalier de son immeuble moscovite. Fille de diplomate née à New York, la journaliste choisit d’étudier puis de vivre en Russie à la fin des années 1970. Dès l’été 1999, elle couvre la guerre de Tchétchénie pour le journal indépendant Novaïa Gazeta (exilé en Lettonie en avril 2022 pour contourner la censure). Elle gagne une notoriété internationale en documentant rigoureusement la réalité de guerre pour les populations et les atteintes aux droits humains du pouvoir russe et de ses partisans tchétchènes. “Poutine n’aime pas les êtres humains. Il nous considère comme un simple moyen”, résumait la journaliste dans son livre La Russie selon Poutine, publié en 2004. Quelques mois plus tard, elle survit à une tentative d’empoisonnement. Pourtant, elle refuse d’envisager l’homme comme un “tyran-né” : elle décortique le système qui l’a produit et pointe la centralité du KGB et de la police politique dans l’État russe. Primée de multiples fois à l’international, Anna Politkovskaïa a toujours refusé de s’exiler mais aussi de se qualifier d'”opposante” à Vladimir Poutine, se préférant “citoyenne russe”, en quête de vérité.

Agenda des rencontres autour des 25 ans d’axelle

Lire, c’est bien ; se parler, c’est bien aussi ! À l’occasion des 25 ans d’axelle, nous vous proposons, tout au long de l’année, des rencontres en Wallonie et à Bruxelles. L’occasion de nous outiller sur le rôle des médias dans la démocratie et sur le traitement médiatique des femmes, mais aussi de décoder ensemble les rouages de nos expériences journalistiques féministes. Voici le programme, complété au fur et à mesure. On se voit ?

© Candela Sierra, pour axelle magazine

En ce moment, beaucoup de personnes sont déboussolées dans leur rapport aux médias. Le poids des “fake news” sur l’information grandit avec l’influence de grands groupes capitalistes. L’utilisation des réseaux sociaux en circuit fermé concourt lui aussi à un sentiment de méfiance envers les médias et le monde politique. Mais, de notre point de vue féministe, les médias ont leur part de responsabilité : enfermement des femmes dans les rubriques “famille” ou “santé”, traitement médiatique calamiteux des violences envers les femmes, absence de femmes expertes, de femmes issues de la diversité… Globalement, les hommes représentent 75 % des sujets d’information. Comment, en tant que femme, en particulier quand on est issue des milieux populaires et/ou d’une minorité, faire confiance alors qu’on est si mal représentée ? Ce n’est pas possible !

Dans ce contexte et à l’occasion des 25 ans de notre magazine, nous organiserons tout au long de l’année une série de rencontres avec vous. Pour nous outiller sur le rôle des médias dans la démocratie et sur le traitement médiatique des femmes. Et pour décoder ensemble les rouages de nos expériences journalistiques féministes, à partir des histoires que nous racontons dans axelle mais aussi de tout ce que vous voulez pointer, de tout ce que vous voulez changer dans notre société, dans les médias. Est-ce qu’un magazine qui met en mots les oubliées du monde d’aujourd’hui peut donner à voir celui de demain ?

À Louvain-la-Neuve, en février

On vous propose une rencontre grand public en partenariat avec Vie Féminine Brabant wallon sur le thème du journalisme féministe, à partir de l’exemple de nos enquêtes sur les violences sexistes et sexuelles dans trois universités belges (UCLouvain, ULB, ULiège). Ensemble, nous formulerons des suggestions, des recommandations et des propositions collectives pour un meilleur traitement médiatique des sujets concernant les femmes.

Jeudi 16 février de 19 à 21h, à la Maison du développement durable, 2 place Agora, 1348 Louvain-la-Neuve.

À Bruxelles, en mars

Le 30 mars, nous organisons une rencontre grand public en partenariat avec Vie Féminine Bruxelles. Nous parlerons des enjeux du journalisme féministe, nous aurons un moment d’échange autour des sujets que vous souhaiteriez voir plus souvent ou mieux abordés par les médias (y compris axelle !) et… nous partagerons un moment festif, car on n’a pas tous les jours 25 ans !

Jeudi 30 mars de 18h à 20h, 20a rue Alphonse Vandenpeereboom, 1080 Molenbeek-Saint-Jean (métro Osseghem).

À Mons, en mars

Le festival Guerrières prône l’émancipation et la liberté de disposer de son corps et de son esprit. Dans le cadre de ce festival et en partenariat avec Vie Féminine Centr’Hainaut, axelle animera une rencontre autour des représentations des femmes dans les médias et les alternatives féministes. Cette rencontre a été imaginée en 1ère partie de la pièce de Sabine Pakora, La Freak (jouée à 20h). Il s’agit de l’autofiction poétique d’une actrice en proie à ses doutes sur les rôles qu’elle incarne. L’autrice, réalisatrice et interprète de la pièce y convoque des personnages stéréotypés… pour mieux les confronter à leurs clichés.

Mercredi 15 mars de 17h30 à 19h30, à la Maison Folie, 8 rue des Arbalestriers, 7000 Mons. La rencontre sera suivie d’une petite pause avant la pièce de théâtre.

À Charleroi, en mars

Dans le cadre de la plateforme carolo Femmes de Mars, axelle et Vie Féminine Charleroi organisent une rencontre en non-mixité autour du rôle des médias dans la démocratie et du traitement médiatique des femmes.

Mardi 14 mars à 10h, à la bibliothèque du Vecteur, le Rayon, 30 rue de Marcinelle, 6000 Charleroi.

Et quand chez vous ?

D’autres rencontres sont prévues tout au long de l’année. Vous en serez évidemment informées dans nos pages, sur nos réseaux sociaux et notre site web.

Vous pouvez aussi nous suggérer des idées de lieux à investir, voire même… nous inviter, si vous êtes un petit groupe ! Contactez-nous : axelle @ skynet.be ou 02 227 13 19.

Avec le soutien de la FWB et du Conseil supérieur de l’éducation aux médias.