Épilation intégrale, l’enjeu derrière le poil

L’épilation intégrale est de plus en plus répandue, notamment parmi les jeunes filles. Selon des gynécologues que nous avons interrogé·es, elle comporte toutefois des risques trop peu connus.

© Diane Delafontaine, pour axelle magazine

En France*, un quart des femmes et 56 % des moins de 25 ans retirent l’entièreté de leurs poils pubiens pour se retrouver avec le sexe “à nu”. “Quand j’ai commencé ma carrière, seules certaines patientes s’épilaient, pour des raisons religieuses, explique Hélène Jacquemin Le Vern, gynécologue, autrice de l’essai Le sang des femmes. En finir avec les tabous. Aujourd’hui, une grande partie de ma patientèle le fait.” Nombre de gynécologues et de sages-femmes partagent ce constat, pointant la responsabilité de la pornographie, dont les hommes font une grande consommation et qui ne montre que des femmes entièrement épilées. “Un jeune homme m’a un jour demandé si c’était normal que sa petite copine ait des poils”, s’étonne encore Hélène Jacquemin Le Vern.

Conséquences d’une norme

“Les femmes s’épilent parce qu’elles trouvent cela sale, alors que la zone génitale n’est PAS sale. Les mains, par exemple, le sont davantage, explique Hélène Jacquemin Le Vern. Par ailleurs, les femmes pensent que les hommes les préfèrent épilées.” Sur ce point, elles n’ont pas tout à fait tort. Un tiers des hommes (32 %) préfèrent les femmes sans poils pubiens (40 % chez les moins de 25 ans) et 29 % des femmes de moins de 34 ans ont déjà été sommées de s’épiler totalement les poils pubiens par leur partenaire sexuel. “Les réseaux sociaux et le marketing ont participé au développement de cette mode, intervient Odile Bagot, également gynécologue et autrice de Mon guide de survie gynéco. N’oublions pas que cela fait travailler les instituts de beauté. Les épilations au laser, auxquelles certaines femmes ont recours y compris pour la zone pubienne, cela représente beaucoup d’argent.”

Les femmes s’épilent parce qu’elles trouvent cela sale, alors que la zone génitale n’est PAS sale. Les mains, par exemple, le sont davantage.

Problème : cette nouvelle norme esthétique n’est pas sans conséquence pour la santé des femmes. Car si le pubis féminin a des poils, c’est pour des raisons bien précises. “Les poils ont un effet protecteur face aux agressions mécaniques, comme le frottement, remarque Odile Bagot. Ils protègent aussi la flore vaginale. Quand on les enlève, c’est tout le microbiote vaginal qui est menacé, avec à la clé des infections génito-urinaires qui peuvent empoisonner la vie des femmes.”

Les poils ont un effet protecteur face aux agressions mécaniques, comme le frottement.

L’épilation à la cire peut entraîner une inflammation ; le rasoir, de petites coupures sur le derme. Et avec les deux méthodes, certaines femmes peuvent se retrouver avec des poils incarnés, qui risquent de s’infecter et de provoquer des abcès extrêmement douloureux dans ces parties très innervées du corps.

Quant à l’épilation intégrale définitive au laser, “elle modifie les tissus et le sous-sol du derme de façon durable, intervient Pierre Foldes, chirurgien, urologue et créateur de la chirurgie de réparation de l’excision. L’épilation au laser provoque des micro-cicatrices juste sous le derme. On le voit quand on opère, ce sous-sol du derme n’est pas normal, il a un aspect parfois cartonné qui le rend plus fragile.” Cette méthode “tue les bulbes pileux mais aussi les glandes sébacées, grâce auxquelles la peau est nourrie et irriguée, ajoute Odile Bagot. Les femmes qui ont recours à ce type d’épilation se retrouvent avec une peau trop sèche et souvent fragilisée.”

Nymphoplasties et complications

“Il ne s’agit pas de dire aux femmes ce qu’elles doivent faire ou non, tempère Hélène Jacquemin Le Vern. Mais je les vois souffrir. Le jour où elles s’épilent, c’est une horreur tellement elles ont mal. C’est tout rouge. Et quand les poils repoussent, cela gratte, c’est très désagréable.” La gynécologue se dit “un peu désespérée par cette mode. Je trouve cela triste. On n’accepte plus son anatomie. C’est un peu comme un corset moderne.” Et les injonctions ne s’arrêtent pas là. Car une fois épilées, “les filles s’observent et trouvent que leurs petites lèvres qui dépassent sont disgracieuses, note Hélène Jacquemin Le Vern. Les demandes de chirurgie esthétique vulvaire, dans mon cabinet, c’est du quotidien.”

“Il y a depuis un peu plus de vingt ans une augmentation des opérations des petites lèvres, le plus souvent des nymphoplasties de réduction, précise Pierre Foldes. Ce sont des opérations pour lesquelles il peut y avoir beaucoup d’échecs et de complications. On peut avoir une disparition des petites lèvres, ou des cicatrices permanentes de chaque côté du vagin, ce qui est extrêmement douloureux lors des rapports.” Le chirurgien “répare” régulièrement des femmes pour qui la nymphoplastie s’est mal passée. Et “parmi les paramètres qui font que toute chirurgie vulvaire peut se compliquer, il y a l’épilation intégrale, car celle-ci crée une situation inflammatoire permanente.” Le tabagisme actif est également une source de mauvaise cicatrisation.

Des sexes trop enfantins ?

Tout cela “peut avoir des conséquences indirectes lors des accouchements, complète Pierre Foldes. Car les peaux opérées perdent de leur souplesse. Les risques de déchirure ou d’épisiotomie vont être augmentés.” Pour cet expert, “l’exploitation de la crédulité des femmes concernant l’aspect que devrait avoir leur sexe est une forme de violence. On leur fait croire que leurs petites lèvres doivent être de telle ou telle manière, que les poils sont inesthétiques, que c’est mieux d’avoir un sexe de petite fille. Je suis consterné par cette injonction esthétique, cet effet de mode.”

La pilosité fait partie des signes de la puberté. Pourquoi les femmes devraient-elles avoir des sexes de petites filles ?

Cette image de sexe impubère n’est pas sans poser d’autres problèmes. “Un pubis entièrement épilé ressemble à un sexe d’enfant, avance Odile Bagot. Et encore plus s’il y a eu une nymphoplastie. Je trouve cela un peu inquiétant par rapport au regard et au désir du partenaire.” Hélène Jacquemin Le Vern partage ce malaise. “La pilosité fait partie des signes de la puberté, observe-t-elle. Pourquoi les femmes devraient-elles avoir des sexes de petites filles ?”

* Nous n’avons pas trouvé de chiffres précis pour la Belgique, où cette habitude semble moins répandue qu’en France, mais néanmoins en augmentation.