Ce 26 novembre, Mirabal appelle à manifester contre les violences faites aux femmes

À l’appel de la plateforme Mirabal, une manifestation contre les violences faites aux femmes est prévue ce dimanche 26 novembre à Bruxelles, dès 14h (le rendez-vous est fixé à 12h au Carrefour de l’Europe). Ce collectif, composé de nombreuses associations féministes, de la société civile et des droits humains, porte le nom des trois sœurs Mirabal, tuées en République dominicaine sur ordre du dictateur Rafael Trujillo le 25 novembre 1960. En 1999, l’ONU a choisi en leur mémoire le 25 novembre comme Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes. Chaque année, la plateforme Mirabal se mobilise autour de cette date et dresse le bilan de la situation en Belgique et dans le monde. axelle en a parlé avec Dominique Deshayes, coordinatrice droits des femmes au sein d’Amnesty International Belgique, qui fait partie de Mirabal.

© Mirabal Belgium

Quelles sont vos revendications cette année ?

“Plus que d’habitude, nous demandons que soient prises en compte les réalités des femmes vulnérables qui sont victimes de discriminations croisées : les femmes migrantes, précarisées, issues de la communauté LGBTQIA+, etc. Dans le contexte qui est le nôtre, nous dénonçons l’utilisation du viol comme arme de guerre en Ukraine, en Syrie ou dans les prisons iraniennes. Nous sommes solidaires de la situation des femmes à l’étranger et avons une vision internationaliste de la lutte contre les violences. Nous sommes atterrées que la directive européenne sur les violences faites aux femmes soit bloquée par deux États importants, la France et l’Allemagne, qui refusent une définition du viol basée sur le consentement. Pour eux, il faut qu’il y ait de la violence pour qu’un viol soit reconnu, que les victimes se débattent, etc., ce qui oublie un grand nombre de situations, par exemple quand la victime a été droguée ou est endormie… Et cela se passe aujourd’hui, en 2023, au sein de l’Union européenne !

Nous sommes solidaires de la situation des femmes à l’étranger et avons une vision internationaliste de la lutte contre les violences.

Nous nous intéressons aussi en particulier au droit à l’avortement, qui est tellement remis en question dans le monde en ce moment : on l’a vu aux États-Unis, mais aussi en Pologne , un pays de l’Union européenne, où toute personne qui aide une femme à avorter peut recevoir une peine de prison. Le droit à l’avortement risque aujourd’hui d’être attaqué en Argentine, avec l’élection du nouveau président Javier Milei. Ce n’est clairement pas un droit acquis, comme c’est le cas pour tous les droits des femmes ! En Belgique, nous demandons l’allongement à 18 semaines (contre 12 actuellement) du délai durant lequel on peut avorter, nous souhaitons également la suppression du délai obligatoire de réflexion de 6 jours. Nous réclamons aussi des formations sur la question de l’IVG généralisées à tout le secteur médical. Il faut l’enseigner aux futur·es médecins et les sensibiliser sur ce sujet. On constate sur le terrain qu’il s’agit d’un combat de médecins plus âgé·es et que les plus jeunes ne s’en emparent pas forcément. Une campagne intéressante de la Sofelia , la Fédération militante des Centres de Planning familial solidaires, est en cours en ce moment pour déconstruire auprès du grand public les stéréotypes qui entourent l’IVG : non, cela ne rend pas stérile, non, ce n’est pas utilisé comme un moyen de contraception par les femmes, etc.

Nous nous intéressons aussi en particulier au droit à l’avortement, qui est tellement remis en question dans le monde en ce moment.

Les violences économiques constituent un dernier point important pour nous, notamment le fait que les métiers féminins, dont ceux du care qui ont été mis en exergue durant la pandémie, restent peu valorisés et peu rémunérés. L’individualisation des droits est un gros enjeu sur le plan économique, et le statut de cohabitant·e constitue un problème. Par exemple, si une femme vit seule avec son fils qui gagne un petit salaire en étant livreur, elle perd la moitié de ses allocations sociales !”

© Mirabal Belgium

La situation reste en effet compliquée pour les droits des femmes, mais y a-t-il eu des avancées significatives ?

“Je dois tout de même dire que je suis fière d’habiter en Belgique (Rires). Sur le plan juridique, l’adoption de la loi Stop Féminicide permet à notre pays d’être pionnier dans la lutte contre ces crimes et de mieux reconnaître les multiples violences qui s’exercent avant un féminicide. Dix Centres de prise en charge des violences sexuelles (CPVS) ont été créés et des cellules EVA ont été constituées dans différents commissariats en Région bruxelloise, qui assureront un meilleur accueil par la police et la Justice pour les victimes de violences sexistes et sexuelles. Le Code pénal sexuel a été réformé et le consentement y a été défini de manière positive : la personne doit exprimer de manière explicite son désir d’avoir une relation sexuelle, il ne peut pas être donné par une personne qui a bu de l’alcool, et il peut être retiré à tout moment. Il faut bien entendu aussi parler de prévention et agir pour que ces violences ne se produisent pas. L’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) est une solution pour lutter contre les stéréotypes dès le plus jeune âge, mais aussi contre la culture du viol et la culpabilisation des victimes. Pourtant, l’EVRAS a fait débat en Belgique, pour seulement deux heures de cours en primaire et en secondaire. Nous ne pouvons pas nous reposer sur nos lauriers, il faut continuer à lutter car il reste beaucoup à faire.”

Justement, les élections de 2024 sont à nos portes. Que demandez-vous aux responsables politiques ?

“Différents mémorandums ont déjà été publiés en vue de ces élections, par exemple celui de Soralia et celui du Conseil bruxellois pour l’égalité entre les femmes et les hommes. Ce qui en ressort, c’est le lien qui est fait entre les violences faites aux femmes et la pauvreté. Il y a aussi un lien clair entre les violences et la mobilité urbaine, avec par exemple la recommandation de pouvoir demander de sortir entre deux arrêts le soir quand on se déplace seule en transport en commun parce que c’est plus sécurisant. J’ai aussi vu des demandes d’une meilleure prise en compte du genre dans la construction des logements sociaux. Beaucoup d’idées germent et fusent en ce moment, c’est très encourageant ! Je pense qu’il faut aussi insister sur les auteurs de violences qui sont peu visés par les mesures déjà prises. Or, même s’ils sont éloignés de leur victime, ils peuvent continuer à violenter d’autres femmes…

On restera vigilantes, car nous voulons que les avancées qui ont été engrangées ces dernières années puissent continuer.

Je ne crains pas trop les élections à venir, car j’ai confiance en la capacité de la société civile et du tissu associatif à résister face à des potentiels reculs. On restera vigilantes, car nous voulons que les avancées qui ont été engrangées ces dernières années puissent continuer. D’ailleurs, le Conseil fédéral de l’Égalité des Chances entre Hommes et Femmes, le Conseil wallon et le Conseil bruxellois vont se rassembler prochainement pour mettre en place une stratégie pour ces élections et surtout pour l’après-élections. Il ne faut pas oublier non plus que la Belgique aura la présidence du Conseil européen de janvier à juin 2024, cela va être très intéressant de suivre ce qu’il va se passer sur ce terrain-là !”

Le grand entretien : “Il faut raconter l’histoire des féminicides, comme on raconte les guerres”

Acte le plus grave du continuum des violences faites aux femmes, le féminicide est le meurtre ou l’assassinat d’une femme “parce qu’elle est une femme”. Depuis cinq ans, notre pays s’est doté d’une loi pionnière qui vise à lutter contre ce crime et à le recenser officiellement. Au moment d’écrire ces lignes, fin août 2028, aucun féminicide n’a été comptabilisé dans notre pays cette année. C’est la première fois depuis les recensements initiaux. axelle a voulu mieux comprendre cette actualité en interviewant deux expertes, Aline Dirkx, coordinatrice de la plateforme Stop Féminicide – qui a commencé à compter et analyser les cas de féminicide plusieurs années avant les statistiques officielles – et Carole Ventura, directrice du Théâtre CreaNova et autrice de nombreuses pièces sur le sujet depuis dix ans.

© Manon Brûlé pour axelle magazine

Cet article fait partie de l’utopie journalistique féministe au cœur de notre dossier de novembre-décembre 2023. Avant de vous plonger dans sa lecture, vous devez savoir que nous sommes en 2028, l’année où la Belgique n’a recensé aucun féminicide… Pour retrouver les coulisses et le sommaire de cette expérience journalistique hors normes, c’est par ici

Selon nos informations, il n’y a pas eu de féminicide depuis le début de cette année. Comment réagissez-vous ?

Aline Dirkx : “Avec du soulagement. C’est une nouvelle qui est très encourageante et c’est un signe de progrès dans la lutte contre les violences de genre. Pour moi, cela montre que les actions collectives, comme la Grande Grève de 2024, ont porté leurs fruits. En revanche, ce n’est pas parce que des féminicides ne sont pas recensés qu’ils n’existent forcément plus. Certains féminicides ne sont pas facilement détectables, les chiffres sur les féminicides ne sont que la partie émergée de l’iceberg. Cependant, si nos actions permettent de sauver une vie, c’est déjà immense. Si cela a permis d’en sauver plusieurs depuis le début de cette année, c’est un très grand pas. Le travail des associations féministes a un impact important. Les femmes sont mobilisées sur cette question depuis très longtemps.”

Carole Ventura : “Je me suis aussi demandé si c’était bien réel. On a un peu du mal à y croire.”

Peut-être parce qu’il y a toujours des fortes résistances face au mouvement féministe…

A.D. : “Il y a en effet des poches de résistants masculinistes très tenaces. Il faut rester vigilantes, parce qu’ils sont très actifs en ligne et organisent des manifestations musclées. Certains hommes ont visiblement peur face à ce changement qui s’amorce. Ils ont peur de perdre leur pouvoir. C’est une peur assez irrationnelle, alors que les femmes craignent, elles, d’être violentées et tuées. Une éradication complète et durable des féminicides va nous demander des efforts continus afin d’assurer la sécurité des femmes sur le long terme.”

Quels autres facteurs auraient permis l’avancée de ces derniers mois, selon vous ?

C.V. : “Je pense que la loi de 2023 a permis de faire prendre conscience de la gravité de la situation à la société tout entière, et pas seulement au sein du milieu féministe. Les gens ont commencé à faire attention à ce qui se passait autour d’eux, dans les familles, dans les cercles d’ami·es, dans le voisinage. La violence a été mieux reconnue par l’État qui a mis en place des actions pour prévenir les féminicides. Au sein du secteur judiciaire aussi, la création des tribunaux spécialisés aurait pu être une piste, qui finalement a été mise de côté dans le cadre de la réforme totale de la Justice.”

La lutte contre les féminicides va au-delà de la seule application de la loi. Il y a eu une vraie remise en question des normes et des attitudes.

A.D. : “La loi inscrit solidement le concept de féminicide dans le cadre légal et institutionnel de la Belgique, cela a été un tournant important, mais qui ne suffit pas à expliquer la situation actuelle. La lutte contre les féminicides va au-delà de la seule application de la loi. Il y a eu une vraie remise en question des normes et des attitudes. Les médias ont eu un rôle à jouer dans ce changement. Ils exercent une réelle influence sur les imaginaires. Ils ont enfin commencé à refléter des normes plus égalitaires. Et, notamment grâce au travail de certain·es journalistes, de plusieurs rédactions et d’associations professionnelles, les récits médiatiques qui banalisaient les violences ou qui reproduisaient des stéréotypes ont été remplacés par des récits qui traitent les violences comme des faits de société graves et qui respectent les droits des victimes.”

C.V. : “C’est exact, on a appris ces cinq dernières années à reconnaître les signaux des violences faites aux femmes, qui peuvent aller jusqu’au féminicide. Aujourd’hui, les femmes savent qu’elles seront protégées et écoutées si elles dénoncent des violences. Une vraie solidarité s’est donc mise en place, et non uniquement une sororité, et c’est ce qui a aidé à changer collectivement de regard sur les violences. Il est évident que la mobilisation des hommes a joué : ils ont enfin réussi à dépasser leur besoin de domination et de pouvoir sur les femmes.”

Faites-vous référence à la grande vague de démissions de 2025, lorsque de nombreux hommes ont démissionné de postes importants pour laisser leur place à des femmes ?

C.V. : ” Tout à fait. Notre société aujourd’hui a fortement évolué et une modification profonde de la manière dont les hommes se construisaient et se considéraient a eu lieu. Nous avons petit à petit démantelé le mythe de l’homme fort et violent. Je pense que les hommes vont mieux et sont plus sereins. Ils ont moins de pression pour correspondre à un mythe. Ils ont pris du temps pour eux, pour leur famille, et c’est une chose toute nouvelle.”

C’est une révolution de l’empathie et de l’écoute, qui se sont développées aussi chez les hommes ?

A.D. : “Il est certain que s’il n’y a plus de féminicide, c’est qu’il y a eu une réelle transformation culturelle qui est facilitée par plein de facteurs, dont l’éducation. Ce changement d’attitude touche les hommes dans leur grande majorité. Les enfants dès le plus jeune âge apprennent l’importance des lois qui les protègent et protègent leur intégrité physique et mental, mais aussi l’importance du consentement, de la gestion des émotions, des programmes de prévention ont d’ailleurs été mis en place. L’éducation permanente, destinée aux adultes, reçoit elle aussi une attention plus grande et des subsides adéquats. Grâce à cela, les individus se considèrent comme des agents de changement et l’importance de l’engagement collectif est accentuée. Évidemment, depuis plusieurs années, tous·tes les professionnel·les de l’enseignement, de la santé et les travailleurs/euses sociales/aux sont formé·es aux violences de genre et à la grille de lecture intersectionnelle, qui est mieux comprise. On sait que les systèmes de domination se chevauchent. Lutter contre un seul système de domination n’est pas efficace et ce n’est pas féministe car cela ne prend pas en compte toutes les femmes, comme les femmes précarisées ou racisées.”

Les droits des femmes ne sont jamais acquis. On pourrait retourner en arrière. Il est important de transmettre ce qu’il s’est passé.

C.V. : “Exactement. Dans les écoles, sur le modèle suédois, des cours d’empathie ont été créés pour lutter, par exemple, contre toutes les formes de harcèlement, à commencer par le harcèlement scolaire. Dans les écoles, on a pris le temps de déconstruire les mythes genrés dans lesquels tout le monde était coincé. Très jeunes, nos enfants sont sensibilisé·es à ces questions. Je m’en réjouis, même s’il ne faut jamais oublier d’où on vient. Les droits des femmes ne sont jamais acquis. On pourrait retourner en arrière. Il est important de transmettre ce qu’il s’est passé. Il faut raconter cette histoire, comme on raconte les guerres.”

© Manon Brûlé pour axelle magazine

Justement, vous avez toutes les deux travaillé sur le féminicide à une époque où ces actes étaient encore des points aveugles de la société. Quelle a été votre stratégie pour les mettre à l’agenda médiatique et politique ?

C.V. : “Il y a dix ans, le premier spectacle sur lequel j’ai travaillé, et qui abordait cette question, parlait des féminicides dont sont victimes les femmes migrantes, notamment en Amérique du Sud. Il s’agit de la pièce No Women’s Land, créée en 2018 d’après le récit journalistique de Camilla Panhard. Cette réalité était encore assez méconnue en Europe à cette époque, il y avait peu d’articles sur le sujet. Le terme féminicide vient de la découverte des corps de femmes à Ciudad Juárez, au Mexique, souillés et enterrés dans le désert. L’anthropologue mexicaine Marcela Lagarde a créé ce mot en réaction, dans les années 1990. Il a mis du temps à être utilisé chez nous, on préférait “crime passionnel” ou “drame familial”. On pensait : “Il l’aimait tant qu’il l’a tuée”. C’était très présent dans les mentalités, on cherchait la responsabilité chez les victimes. L’emploi du terme féminicide a été fondamental pour la prise de conscience de ce qu’il se passait. On s’est rendu compte qu’on pouvait appliquer le même terme en Belgique, pour qualifier ce qu’on appelait jusque-là des violences intrafamiliales. Le mot féminicide a permis de faire comprendre qu’il s’agissait de violences perpétrées sur les femmes dans une volonté de domination. Comme toute redéfinition, non, il n’a pas été simple de faire comprendre l’importance de ce mot, et cela a même parfois été violent.”

A.D. : “D’ailleurs, tout le monde n’est pas encore vraiment d’accord avec ce que cette notion inclut précisément. C’est encore sujet à controverse, même en 2028 ! Le moment de bascule s’est produit entre les années 2010 et 2020. Les militantes féministes ont ardemment lutté pour visibiliser l’ampleur des violences genrées. En 2016, la Belgique a ratifié la Convention d’Istanbul et était tenue de collecter des données genrées sur les féminicides. Un an plus tard, en 2017, la plateforme Stop Féminicide a été créée pour pallier le manque de réactivité du gouvernement. Cette mobilisation a permis de sensibiliser l’opinion publique sur ce sujet et d’attirer l’attention des responsables politiques. Certains féminicides ont eu un impact important, comme le féminicide très médiatisé de Julie Van Espen, en 2019.”

Quel est le rôle de Stop Féminicide dans le contexte actuel qui a beaucoup évolué ?

A.D. : “Stop Féminicide est toujours d’actualité, d’ailleurs la prévention est depuis toujours l’un des piliers de notre travail. Ce n’est pas parce qu’il y a eu une évolution qu’il faut relâcher notre attention. Stop Féminicide est l’un des outils de la plus large Plateforme féministe contre les violences faites aux femmes. Or, certaines violences de genre subsistent dans notre société. On continuera à faire pression pour que les lois qui ont récemment été adoptées soient correctement appliquées, par exemple la loi de 2026 sur le retrait de l’autorité parentale ou encore la loi, plus récente, de 2027, de réparation pour les victimes de violences de genre… Il y a encore des défis à relever, en espérant, qu’un jour, Stop Féminicide n’ait plus besoin d’exister. S’il n’y a plus de féminicide, nous allons toutefois continuer à rendre femmage à celles qui ont été victimes d’un féminicide, à leur rendre un nom et un visage. Pour qu’on ne les oublie pas. »

Est-ce que la culture a aussi eu un rôle à jouer dans cette évolution ?

C.V. : “La culture a toujours eu un rôle sociétal. Lorsqu’on a créé le spectacle en 2018, cela correspondait à un moment où les citoyen·nes commençaient à se rendre compte du drame en cours, et les artistes ont eu envie de raconter ce qu’il se passait. Cela correspond aussi à une mission importante : toucher des publics qui sont éloignés de la culture. Surtout dans le théâtre, on a eu tendance à faire de l’art bourgeois pour les bourgeois·es. En 2023, on a joué une autre pièce dans les milieux populaires, Classement sans suite, sur les violences sexuelles. Des femmes qui n’étaient jamais allées au théâtre sont venues nous voir après la pièce pour nous raconter, parfois pour la première fois, ce qu’elles avaient vécu. On était dans du théâtre tellement utile, puisqu’on libérait la parole et elles comprenaient qu’elles ne devaient pas rester seules avec ça, qu’il existait des structures pour les aider. La particularité du théâtre, au travers de la fiction, c’est que les choses nous touchent et nous parlent différemment, ça nous donne envie de réagir. Ça nous transforme. Dans le théâtre, il faut bien dire que ces pièces ont pu émerger parce qu’il y a eu une volonté politique de parler de ces sujets. Cela ne s’est pas fait tout seul. Ce sont des thématiques qui ont reçu plus d’attention dans les subventionnements, tout comme les femmes artistes, les metteuses en scène et les autrices. En 2023, on était très loin de la parité dans le théâtre, on était encore dans le patriarcat culturel, dont on s’est aujourd’hui un peu plus défait·es. Le mouvement #MeToo, en 2017, a beaucoup aidé. Des femmes connues ont pris la parole et on a vu, des années plus tard, des pointures du cinéma tomber à la suite de ces dénonciations. C’étaient les prémices de ce qu’on vit aujourd’hui.”

Que pensez-vous des commandos “Les Ultraviolettes” au sein desquels les femmes emploient la violence comme légitime défense, ce qui a d’ailleurs été reconnu par la Justice ?

A.D. : “Je salue leurs efforts et les remercie. Je comprends que des stratégies plus radicales peuvent être perçues comme nécessaires et je comprends ce qui peut amener, par réaction défensive ou de protection, à la violence. Cela soulève néanmoins des questions complexes. L’utilisation de la violence fait débat aujourd’hui au sein du mouvement féministe, certaines pensent que cela peut discréditer tout le mouvement. Cela semble dissonant, voire contradictoire, d’utiliser la violence quand c’est justement contre la violence qu’on lutte. À titre purement personnel, je me dis que dans l’histoire, les mouvements de libération et de lutte ont parfois dû recourir à la violence pour renverser des systèmes d’oppression. Il est difficile de juger la légitimité d’une telle stratégie quand elle est apparue comme la seule option possible.”

C.V. : “Je pense qu’il faut arrêter d’être polies. Ce n’est pas de cette façon qu’on change les choses. Il est dommage d’en arriver à la violence mais je pense que lorsqu’on montre qu’on peut se défendre, cela s’arrête. Je suis née à une époque où il était considéré normal qu’une femme puisse être agressée quand elle sortait, on nous prévenait de ne pas sortir tard le soir, etc. Il y a eu une révolution des consciences, ce n’est plus du tout normal aujourd’hui. On a réussi à faire bouger les mentalités, ce qui est la chose la plus difficile à faire.”

Vous utilisez l’expression “révolution des consciences”, reste-t-il d’autres révolutions à accomplir ?

A.D. : “On a encore du pain sur la planche si on souhaite créer un monde sans discriminations ou violences, un monde vraiment égalitaire, et cela doit être une préoccupation féministe. Il faut lutter contre le racisme, la grossophobie, la queerphobie, etc. La fin du capitalisme est essentielle car c’est un système qui perpétue des inégalités. Je suis très intéressée par l’écoféminisme. Au cœur de cette réflexion, il y a le lien entre la domination des hommes sur la nature et celle qu’ils exercent sur les femmes. Il faudrait prendre en compte la diversité des voix féministes qui luttent pour l’environnement depuis très longtemps, surtout dans les régions dites “du Sud”. Ce sont les femmes le plus précarisées, celles qui sont le plus touchées par les changements climatiques, qui mènent la lutte avec le plus d’ardeur. Une société égalitaire doit être respectueuse de la nature et adopter des modes de vie durables pour toutes les espèces. Et si la situation en 2028 en Belgique est porteuse d’espoir, je me demande comment cela se passe ailleurs. La justice sociale et l’égalité de genre ne se limitent pas aux frontières nationales. Si le patriarcat prospère dans d’autres pays, il y a peu d’espoir que la Belgique tienne seule une position à contre-courant du reste du monde. C’est pour cela que je place beaucoup d’espoir dans la Grève Féministe Internationale Totale qui se prépare.”

On a encore du pain sur la planche si on souhaite créer un monde sans discriminations ou violences, un monde vraiment égalitaire, et cela doit être une préoccupation féministe.

C.V. : “Il est inconcevable pour moi de continuer à vivre dans un monde où il y a des personnes très riches et des très pauvres. Maintenant qu’on a découvert la solidarité, et que les femmes sont bienvenues dans l’espace public et peuvent enfin s’y déplacer, on devrait réinventer l’urbanisme, nous permettre de nous y retrouver. Il faudrait des endroits verts où nos enfants pourraient jouer sans risquer de se faire écraser par des voitures. Il faudrait des lieux où l’on pourrait cuisiner ensemble. Il faudrait cesser de vivre dans un monde de compétition, où on met la pression à nos enfants pour qu’ils et elles soient les meilleur·es. On doit leur apprendre l’entraide face à la destruction de la planète. Il est temps de se retrousser les manches pour rattraper les erreurs du passé. On ne pourra faire cela qu’ensemble.”

Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Conseil supérieur de l’Éducation aux Médias

Dans les coulisses, la Grève Féministe Internationale Totale se prépare

Galvanisées par le succès de leur dernière Grande Grève, les femmes préparent la suivante. Dans le chaos de tout ce qu’on croit définitivement perdu, axelle a rencontré en Belgique quelques artisanes de ce futur débrayage massif…
Émilie Bender et Manon Legrand

© Manon Brûlé pour axelle magazine

Cet article fait partie de l’utopie journalistique féministe au cœur de notre dossier de novembre-décembre 2023. Avant de vous plonger dans sa lecture, vous devez savoir que nous sommes en 2028, l’année où la Belgique n’a recensé aucun féminicide… Pour retrouver les coulisses et le sommaire de cette expérience journalistique hors normes, c’est par ici

Front de mer, Gand, septembre 2028. Comme toujours dans notre société en chute libre, les femmes s’activent. Les unes unissent des matériaux de flottaison pour en faire des radeaux – elles poncent, vissent, nouent, percent, tirent, relient des embarcations en tout genre –, les autres s’assurent qu’il y ait des réserves d’eau douce et de nourriture en suffisance. Une furieuse énergie vitale se dégage du chantier : “Construire le ventre plein, me disent-elles, c’est le plus important ! Rien ne tient dans la famine… c’est l’opposé de la Maïzena !”

Depuis la dernière Grande Grève qui a bloqué la Belgique pendant un mois cet hiver, beaucoup d’entre elles ne craignent plus de débrayer…

Et à les voir, elles ont faim. On les a laissées si longtemps l’estomac gargouillant à se nourrir d’espoir qu’elles ont besoin de le régurgiter. De tisser leurs optimismes les uns aux autres pour donner du sens à cette famine millénaire1. Ensemble, elles modèlent ce magma intime pour inventer de nouveaux motifs, que ce soit ici, à travers le pays ou demain au-delà des frontières. Depuis la dernière Grande Grève qui a bloqué la Belgique pendant un mois cet hiver (voir axelle n° 281, mars-avril 2028), beaucoup d’entre elles ne craignent plus de débrayer : “Ça a tout changé, me glisse Eunice. Avant, je vidais mes économies pour payer le loyer ; là, j’alimente la caisse commune pour que l’on mange tous·tes. On n’a pas plus dans nos poches, mais on vit.” Cette caisse commune s’appelle Le Chœur et elle permet de loger et nourrir plus de 400 personnes chaque mois.

Des mélodies de joie scandent les travaux de préparation en vue de la Grève Féministe Internationale Totale du 8 mars 2029, parce que oui, l’urgence est telle que beaucoup ici croient que ce sera pour la vie. Que le visage de la société change. Alors elles viennent en soutien – pour certaines quelques jours, pour d’autres quelques mois – elles s’établissent sur ces longues plages recouvertes de déchets, derniers témoins de l’ancienne démarcation côtière, balayées par les vols de corneilles. Des ballons, des râteaux, des seaux multicolores, des cadres de cuistax, des toiles de parasols, des couvercles de frigobox… tout est bon à récolter pour construire ces radeaux de fortune.

Adieu marin

Quant au marin d’Ostende, il n’est plus qu’un vieux souvenir depuis que les eaux sont montées jusqu’aux campagnes gantoises : “C’est pas plus mal que le patriarcat ait été englouti !”, s’exclame Thalassa, une tronçonneuse à la main. Je profite de la brèche pour lui poser quelques questions : “Tu le crois vraiment toi, que le patriarcat ait été englouti ?” Thalassa revient sur toutes les conquêtes obtenues durant cette dernière législature belge : tribunaux féministes, réduction collective du temps de travail, baisse de l’âge des retraites, féministisation de l’enseignement… Toutefois, personne n’est dupe ici, “le vieux papa”, comme elle le nomme avec une certaine tendresse, n’est pas englouti, “même s’il peine grave à garder la tête hors de l’eau. Après, on n’est pas biesses, on sait que les droits des femmes, ça se brade et que les bouées sont encore trop souvent made in Macholand. Les femmes, les personnes précaires, dès qu’on baisse les bras, on perd tout. Regarde le droit à l’avortement… Y’a jamais d’acquis pour nous.”

Après, on n’est pas biesses, on sait que les droits des femmes, ça se brade et que les bouées sont encore trop souvent made in Macholand.

Thalassa fait partie des personnes qui sont entrées récemment au comité de Grève. Ça faisait plusieurs années qu’elle manifestait le 8 mars, “passivement, en suivant la meute des sœurs”, me confie-t-elle. Mais le combat victorieux pour la fin des féminicides et l’inflation galopante l’ont poussée dans un engagement plus quotidien, plus à vif, plus nécessaire. Aujourd’hui, elle coordonne la section Actions Scandaleuses2. Pourquoi ? Elle ne sait pas vraiment l’expliquer… ou plutôt si : un besoin de “passer à l’action qui la botte !”

“On a par exemple vidé les rayons d’un magasin de prêt-à-porter, distribué les habits et récupéré les cintres pour en faire une immense guirlande qu’on a brandie dans la rue commerciale. J’ai aussi le souvenir d’un banquet gigantesque organisé place de la Louve au moment des grèves dans les supermarchés. C’était dingue comme braver un interdit collectivement, ça nous a grisées. On était tous·tes Catwoman, quoi ! Après le scandale, c’est facile quand on est femme… Tu pètes de travers et te voilà scandaleuse”, rit-elle. Pour 2029 par contre, elle garde le secret. “Mais ce sera loin d’être anecdotique !” Menace ou mise en garde ?

À l’ombre de l’Olympe

Thalassa maintient l’ambiguïté et commence à évoquer son séjour en Grèce, le pays de ses ancêtres. Rentrée depuis seulement trois jours, elle témoigne : “Tout a brûlé dans le village de ma mère. Maisons centenaires, arbres fruitiers, bibliothèques. Albums de famille, livres de recettes… J’ai vu des femmes laver, cendre après cendre, le moindre de leurs souvenirs. Elles embrassaient leurs tristesses par des actions concrètes : dresser des abris avec les débris en présence, rassembler ce qui pouvait être sauvé – sans hiérarchisation d’importance, comme un trésor d’enfant, où les pierres côtoient les morceaux de porcelaines et les lauriers séchés –, s’assurer que les personnes en vie mangeaient, s’hydrataient, fredonnaient. En nous voyant bosser ici comme des folles pour construire ces rafiots, là-bas pour rebâtir leur village – je me disais que, décidément, on est sacrément fortes quand on est ensemble !”

En nous voyant bosser ici comme des folles pour construire ces rafiots, là-bas pour rebâtir leur village – je me disais que, décidément, on est sacrément fortes quand on est ensemble !

Puissantes, j’ajouterais. Parce que là-bas, sous les gravats, la grève s’organise aussi. “Elles vont mettre le focus sur l’extractivisme et l’avortement. Rappeler que “Ni la terre ni les femmes ne sont un territoire de conquête”. Encore et toujours. Tant qu’il le faudra, elles répéteront les mêmes slogans. Et nous, faut qu’on en fasse l’écho, c’est pour ça que la Grève Féministe Internationale Totale a du sens. Si tous les pays se font l’écho des autres, ça va devenir assourdissant et les gouvernements n’auront plus le choix de nous entendre. T’imagines une gamine qui tape sur une casserole ou qui claque deux couvercles ensemble… pas une fois, mais pendant des heures, assidûment… c’est insupportable ! Alors six milliards, ça va faire un boucan tel qu’on va réveiller nos sœurs disparues. Par ailleurs, je voudrais qu’on relaye la revendication du salaire universel de soin proposé par les Grecques, faut pas que j’oublie d’en parler aux copines de la section Santé Communautaire.”

“L’effet casserole”

Son téléphone sonne. Thalassa prend l’appel. “Salut Malika, comment tu vas ? Dis-moi…” Silence. “Ok, je peux être dispo pour les rencontrer. Iels ont quel âge et c’est dans quel quartier ?” À peine a-t-elle raccroché que Thalassa enchaîne sur l’importance d’un mouvement transgénérationnel. “L’essentiel, ce n’est pas d’être d’accord, mais de montrer la pluralité des féminismes aujourd’hui. Si t’as 15 ans ou 75 ans, forcément que tu ne vas pas avoir les mêmes revendications, parce que tu n’as pas les mêmes besoins. Par contre, on peut tous·tes témoigner des mêmes discriminations et niveler vers le haut. C’est ça que j’appelle l’effet casserole : faire du bruit ensemble pour se mettre à l’action. Après, que tu veuilles le faire seins nus ou en habits traditionnels, on s’en fiche, ce qui compte, c’est de trouver le chemin qui te donne la force de réinvestir le commun – le sens commun. Si on n’est pas tous·tes ensemble, y aura pas de changement. On a besoin de tout le monde et chacun·e est nécessaire.”

© Manon Brûlé pour axelle magazine

C’est pour cette raison qu’elle anime chaque semaine des ateliers de créativité collective. “La créativité, c’est pas du développement personnel bidon. Ça fait partie de la nature humaine, c’est notre noyau. On a le rire pour prendre de la distance par rapport à une situation compliquée, il nous permet de pointer le problème. La créativité, elle, elle suggère les possibles. Elle ouvre. On voit la créativité comme un passe-temps pour femmes au foyer, mais en fait c’est un pied-de-biche qui va tout dézinguer !”

On voit la créativité comme un passe-temps pour femmes au foyer, mais en fait c’est un pied-de-biche qui va tout dézinguer !

Je garde cette image en tête en observant Thalassa remettre son casque antibruit et débiter le squelette d’une baleine à bosse qui s’est échouée sur la plage la nuit dernière. Le projet est d’en faire une sculpture, un phare géant, pour éclairer les gouvernements sur la voie à prendre. C’est aussi ça, la créativité, prendre le mort pour en faire du vivant.

La criée

Sur le chemin de galets qui longe le chantier, une petite chapelle est transformée – comme tant d’autres lieux ces derniers mois – en espace public pour s’abriter des chaleurs caniculaires. Une grappe de personnes est amassée autour d’une table ; l’une d’elle note consciencieusement les échanges dans un grand cahier à spirale. “On m’a coupé mon électricité pour dette.” “J’ai dû redéposer les pâtes dans les rayons car mon compte était vide.” Et aussi : “Je n’ai eu aucun bonjour de mes collègues ce matin quand j’ai dépoussiéré leurs bureaux.”

Chaque jour, à l’aube, femmes et hommes viennent y crier leurs grandes et petites humiliations. “Ma fille m’a demandé pourquoi ici, c’était pas son pays.” “Je n’ai pas pu voir ma cousine parce que je n’ai pas obtenu mon visa.” “Je suis une mauvaise mère, elle m’a dit.” Les paroles s’enchaînent comme un chapelet qu’on égraine, comme une grande prière de colère inscrite dans le cahier de doléances par Mirto.

On n’a pas le choix de résister. C’est une question de survie !

“Ce sera notre boussole pour maintenir le cap lors de la Grève Féministe Internationale Totale qui se profile. Avoir des balises ancrées dans le terrain pour remonter les bons enjeux, c’est vital, sinon tu pars à la dérive. En rendant la grève disponible à des personnes dont on méconnaît les réalités sociales3, tu cartographies plus juste et t’évites l’iceberg. Ça explose la honte de voir qu’on n’est pas tous·tes seul·es. On est là, sur le même bateau tout à coup. Pour de vrai, je veux dire, pas pour jouer avec les mots, on est vraiment là, ensemble, en sachant pourquoi.” Mirto est absolument convaincu·e que la grève est “le seul mouvement social international qui est capable de faire face à l’extrême droite et au fascisme. À l’heure qu’il est, ils ont commencé à surfer sur les problématiques sociales pour gagner en popularité, faut pas leur laisser nos problèmes pour en faire des boules à facettes. Faut se les garder, nos problèmes, les transformer en talismans et prendre le dancefloor ! On n’a pas le choix de résister. C’est une question de survie !”

Cartographie brodée

Quelques jours plus tard, sur le front de mer de Gand, des cartes maritimes battent au vent comme autant d’étendards, les gilets de survie pimpés de paillettes sont sur les épaules et les femmes consolident les mâts, réhaussent les nouvelles frontières de fluo, posent les dernières touches de couleur à leur carte blanche. J’ai beau scruter leurs projections, je ne reconnais rien. Pas de Nord, plus de Sud. Une immense Argentine, une Suisse disproportionnée. Des noms de villages aussi grands que ceux des capitales. Une Méditerranée peinte en noir. Le Rojava verdoyant. Des canaux et des rivières longues et larges… Et là, à l’endroit de notre localisation, une immense ligne de frontière, ou plutôt, une gigantesque liaison flottante qui rattache Gand à Casablanca4. Ce n’est pas une ligne droite, c’est un dessin nervé de milliers de bronches pneumatiques. J’y vois un monde respirant à pleins poumons, profondément prêt à engloutir définitivement le marin d’Ostende.

La confection de rêves est en marche.

Elle commence le 8 mars prochain.

Demain – à l’aube.

1. Inspiré d’Isabelle Sorente, Le complexe de la sorcière, Éd. JC Lattès 2020.
2. Inspiré de Gloria Steinem, Actions scandaleuses et rébellions quotidiennes, Points 2022.
3. Expression de Veronica Gago, La puissance féministe. Ou le désir de tout changer, Divergences 2021.
4. Inspiré de Nepthys Zwer, historienne et cartographe radicale et féministe qui propose de transposer notre vision du monde en une infinité de formes dessinées. C’est un moyen de défendre le monde qu’on veut, le délimiter en mettant en avant des territoires disparus ou que certain·es voudraient rayer de la carte. “La carte, réputée être l’outil par excellence des géographes pour décrire le monde, devient une formidable machine à rêves”, explique-t-elle (France Culture, 23/12/21). Lire aussi Cartographie radicale. Explorations, de Nepthys Zwer et Philippe Rekacewicz, La Découverte 2021.


Avec le soutien de la Fédération Wallonie-Bruxelles et du Conseil supérieur de l’Éducation aux Médias

Sportives en situation de handicap : elles en veulent !

Rencontre avec trois sportives belges qui vivent en situation de handicap. Elles cumulent les difficultés mais elles ne se laissent pas décourager. Fanny, Mandy et Nathalie sont avant tout des compétitrices, amoureuses de leur discipline.

Fanny : "Je suis bien avec mon handicap mais je ne veux pas qu'on me limite à cela." © Coralie Vankerkhoven, pour axelle magazine

L’image du handisport ou du sport ouvert aux personnes en situation de handicap est désormais relativement familière du grand public ; cette reconnaissance est également nourrie par l’intérêt suscité par les jeux paralympiques. Au quotidien, ces avancées, réelles, ne doivent pas occulter combien cette timide reconnaissance est fragile et combien l’inclusion des personnes dites différentes reste une lutte incessante. Comme cela reste un combat la place et la reconnaissance des femmes dans le milieu sportif. Comme reste fragile la légitimité de la voix des femmes. Alors être femme, sportive et en situation de handicap, triple peine ? Les rencontres avec Fanny, Mandy et Nathalie ont été l’occasion d’aborder ces questions sur leur terrain de jeu. Un constat : pour le monde extérieur, leur handicap tend à prendre le dessus, ce qui gomme leur légitimité en tant que sportives à part entière. Les sports qu’elles pratiquent ne sont ni des disciplines au rabais ni des pis-aller et encore moins de l’occupationnel ; toutes revendiquent le droit d’être prises au sérieux.

Fanny

“En 2015, j’ai fait une hémorragie cérébrale. Suite à cela, j’ai perdu tout l’usage de mon côté gauche. Lors de ma rééducation, on m’a proposé de faire du vélo adapté. Mon handicap me freine pour certains sports, comme le handball et le sport en chaise, du fait de mon côté non valide. Dans le sport, j’aime l’aspect compétition et dépassement. Quand je roule à vélo, celui-ci suscite la curiosité et les gens sont souvent impressionnés, même si certains ne perçoivent pas qu’il y a un handicap derrière.
Il y a plus de place accordée aux hommes et oui, il est important que l’on parle de nous, qu’on revendique notre spécificité. Je suis à tendance positive, mais c’est galère parfois et on doit trouver notre chemin toute seule. On se bat… Mais est-ce parce qu’on est une femme ? Est-ce parce que je suis handicapée ? Quand on cumule le tout, comment en faire une fierté ?
Parfois, on remet en question mes capacités, le handicap reprend le dessus et on me limite.
Je n’ai pas l’impression d’être surhumaine mais je suis souvent surprise par l’effet “waouh” que je suscite : “Ah tu es capable de cela ?”… et cela me donne l’envie de me battre, de continuer. Alors oui, tu as un handicap mais la vie est belle et il faut juste se donner un coup de pied au cul.”