Se faire stériliser quand on est jeune : le parcours de Charline

Selon une enquête de la VUB de 2018, une femme belge sur dix entre 25 et 35 ans ne veut pas d’enfant. Pourtant, se faire ligaturer les trompes s’apparente encore à un parcours de la combattante, particulièrement pour les femmes de moins de 35 ans. Des gynécologues de l’hôpital Saint-Pierre à Bruxelles proposent un trajet de soins ouvert à toutes. Charline, 26 ans, l’a suivi. Et nous, on a suivi Charline.

© Diane Delafontaine pour axelle magazine

En 2012, elle a quinze ans. Charline prend dans ses bras un bébé pour la première fois. Les adultes autour d’elle lui demandent : “Tu veux des enfants ? Combien ?” Voilà comment l’adolescente commence sa réflexion sur le sujet. Rapidement, elle réalise que la maternité ne l’intéresse pas, mais “j’étais trop jeune à l’époque pour être sûre de moi. Je ne pensais pas que cela se confirmerait avec les années.”

Pression de l’entourage, soutien inattendu

Cinq ans plus tard, Charline étudie l’histoire de l’art à l’université, elle est en couple avec un garçon. Un commentaire récurrent de leur entourage – “Ce sera trop mignon quand vous aurez des enfants ensemble” – l’exaspère. Elle est en colère. Contre la pression sociale de la maternité. Contre l’invisibilisation des femmes qui ne veulent pas d’enfant. Elle évoque aussi le “sentiment d’injustice de ne pas pouvoir en parler avec facilité à mon entourage“. Petit à petit, Charline se réfugie dans la littérature féministe, dans les ouvrages de Rod Valambois, de Liv Strömquist ou encore de Mona Chollet : “C’était apaisant de ne pas être seule.”

Je n’avais pas à me cacher d’être sûre de mon non-désir d’enfant.

À 22 ans, Charline parle de son choix de ne pas vouloir être mère à ses meilleures amies, un petit groupe en qui elle a une totale confiance. Les réactions sont unanimes : “Peut-être que tu changeras d’avis.” Charline se laisse presque abattre par cet argument. “Je répondais toujours “Oui, mais ça fait déjà sept ans que j’ai le même avis.”” Jusqu’à ce qu’elle comprenne une chose : “Je n’avais pas à me cacher d’être sûre de mon non-désir d’enfant.”

C’est autour d’une discussion informelle en tête à tête avec sa mère qu’elle lui confie : “Maman, je ne veux pas d’enfant, je n’en aurai pas.” Charline s’attendait à devoir se justifier une nouvelle fois, mais sa mère répond : “Je comprends tout à fait, tu fais très bien d’écouter tes envies et de ne pas te soumettre à qui que ce soit.” En y réfléchissant, Charline nuance son étonnement et dit avoir toujours eu le sentiment que sa mère avait, peut-être, fait des enfants à contrecœur : “J’ai ressenti toute ma vie qu’elle ne voulait pas forcément d’enfants. Ce rôle maternel, ce n’était peut-être pas pour elle ?” Charline pense que son schéma familial a certainement joué un rôle dans sa décision de ne pas vouloir d’enfant. La maternité est une pensée qui l’angoisse. Elle est terrifiée à l’idée de tomber enceinte, ce qui l’empêche de prendre du plaisir lors de ses relations sexuelles ; elle utilise une double contraception, préservatifs plus stérilet.

“Mon corps m’a envoyé un message”

Quelques années auparavant, la jeune femme a été diagnostiquée du SOPK, le syndrome des ovaires polykystiques, qui peut avoir comme conséquence l’infertilité, mais pas la stérilité. Pour les femmes qui en sont atteintes, avoir des enfants de manière naturelle est difficile et nécessite une stimulation ovarienne. Pour Charline, l’annonce de ce syndrome n’a pas été douloureuse. “C’est comme si mon corps m’avait envoyé un message : “Ce n’est pas fait pour toi, ne force pas.””

C’est le seul endroit en Belgique, à sa connaissance, qui rend cette démarche possible.

Elle décide alors de se faire stériliser. Mais ses recherches sur internet la démotivent. Elle lit sur des forums que le recours à la ligature des trompes serait uniquement accessible aux femmes de plus de 35 ans avec au moins un·e enfant. Elle laisse son projet en suspens. Mais en septembre 2021, elle se rend chez sa gynécologue, à Mons, pour sa visite de contrôle. La spécialiste lui demande ce qu’elle souhaite faire avec son stérilet en cuivre posé trois ans plus tôt. On l’enlève ou on en pose un nouveau dans deux ans ? Charline répond que tant qu’elle n’aura pas eu accès à la stérilisation définitive, elle souhaite continuer, le stérilet étant le moyen de contraception le plus fiable. Sa gynécologue réalise alors que l’envie de stérilisation est présente depuis longtemps chez sa patiente. De plus, la spécialiste a récemment assisté à une conférence organisée par l’hôpital Saint-Pierre, à Bruxelles, sur la stérilisation définitive des femmes de moins de 35 ans. C’est le seul endroit en Belgique, à sa connaissance, qui rend cette démarche possible.

Charline prend immédiatement contact avec le service gynécologie de Saint-Pierre. Le début n’est pas évident : passer par le secrétariat général, expliquer sa situation est source d’inquiétude pour la jeune femme. Elle contacte Jean Vandromme, gynécologue de Saint-Pierre qu’on lui a conseillé. Elle prend rendez-vous avec lui et arrive à l’hôpital, la boule au ventre.

Saint-Pierre à contre-courant

Son plaidoyer est prêt. Elle s’attend à devoir justifier sa décision et à se battre pour obtenir sa ligature des trompes. La réalité est bien différente.

Pendant des années, l’hôpital Saint-Pierre faisait comme les autres  : refus systématique, ou presque, des demandes de stérilisation définitive pour les patientes sans enfant âgées de moins de 35 ans. Le docteur Jean Vandromme confie à ce propos : “En médecine, on fait beaucoup de choses par habitude, sans même réfléchir à leur intérêt…” Mais il explique qu’en 2017, une première patiente l’a convaincu d’accéder à sa demande. Deux semaines après le rendez-vous, la jeune femme a été opérée. Sur les réseaux sociaux, son témoignage circule. Petit à petit, le gynécologue Jean Vandromme a vu arriver de nombreuses femmes avec la même demande.

Tout le monde était d’accord pour dire qu’on ne pouvait plus décider à la place de nos patientes.

Avec le docteur Yannick Manigart, responsable du planning familial de l’hôpital, ils imaginent alors un parcours de soins adapté. Jean Vandromme explique aussi : “Avoir l’aval de plusieurs spécialistes rassure et partage la responsabilité en cas de complications.” L’équipe de gynécologues fait valider le trajet de soins par le comité éthique de l’hôpital. Le docteur Jean Vandromme assure : “Tout le monde était d’accord pour dire qu’on ne pouvait plus décider à la place de nos patientes.”

En moyenne, les femmes qui se rendent à l’hôpital Saint-Pierre pour accéder à une ligature des trompes ont déjà essuyé entre deux et dix refus d’autres gynécologues, d’après l’expérience du docteur Vandromme. Un chiffre élevé qui peut s’expliquer par la conception nataliste de notre société. Mais quelles en sont les raisons citées par les gynécologues ? Celle qui revient le plus souvent est le risque de regret.

Depuis 2017, l’hôpital a en effet stérilisé près de 200 femmes et compte un seul regret connu : une patiente de 31 ans qui, avant sa ligature, avait vécu dix grossesses et six avortements mais qui, depuis, a rencontré quelqu’un avec qui elle aurait finalement souhaité avoir un·e enfant. Le docteur Vandromme a remarqué avec l’expérience que “les femmes qui regrettent ont souvent plus de trente ans et ont déjà un enfant”. Dès lors, pourquoi exclure les autres groupes de femmes de cette opération ?

Elles ont des idées très claires sur ce qu’elles désirent, et sont déterminées.

La deuxième “catégorie” de femmes désirant la stérilisation ont moins de 30 ans et sont nullipares (sans enfant). Le gynécologue assure : “Elles ont des idées très claires sur ce qu’elles désirent, et sont déterminées.” Avant l’opération, à Saint-Pierre, elles consentent à être recontactées quelques années plus tard, à des fins de recherche. Pour Jean Vandromme, “dans dix ans, on saura si on avait raison de se battre pour la stérilisation volontaire des jeunes femmes ou non”. 

Risque de plainte ?

Une autre raison qui est souvent évoquée par des professionnel·les pour refuser de pratiquer l’opération est le risque encouru par l’hôpital ou par la/le médecin en cas de plainte ultérieure de la patiente. Bien que sur les 200 patientes de Saint-Pierre, cela ne soit pas arrivé, le spécialiste Jean Vandromme n’exclut pas cette possibilité. En effet, même si les patientes signent une décharge avant d’entrer au bloc, cette décharge ne protège pas l’hôpital. C’est l’une des raisons de la création du parcours de soins : diviser les responsabilités et, surtout, prendre le temps d’informer correctement la patiente. Si la ligature des trompes représente la méthode la plus sûre pour éviter une grossesse, il existe néanmoins un taux d’échec d’environ 0,5 %.

D’après l’expérience et les retours de Jean Vandromme, les plaintes de patientes après une ligature des trompes seraient le plus souvent liées à une forme de manipulation de l’information dans le chef d’un·e professionnel·le. Par exemple, lorsqu’une femme accouche par césarienne trois fois, la/le gynécologue peut avoir tendance à la dissuader d’avoir un·e enfant à nouveau et lui suggérer d’avoir recours à la stérilisation. Pourtant, d’après Jean Vandromme, il serait possible d’accoucher par césarienne une quatrième fois. Mais certaines patientes ne l’apprennent que quelques mois après leur stérilisation… “Elles se sentent complètement flouées par le discours de leur médecin et plusieurs ont porté plainte”, rajoute le gynécologue.

© Diane Delafontaine pour axelle magazine

Si l’hôpital Saint-Pierre propose une avancée inédite dans l’accès à cette opération, le reste de la Belgique n’est pas prêt à emboîter le pas. En effet, les différentes cliniques du pays se contenteraient de rediriger les patientes concernées vers Saint-Pierre… Au-delà des positionnements des établissements hospitaliers, Jean Vandromme comprend les réticences des gynécologues indépendant·es : “C’est une décision trop difficile à prendre seul, il est plus rassurant de travailler en équipe et d’avoir le soutien de sa hiérarchie.”

Deux méthodes d’intervention

On parle toujours de “la ligature des trompes”, mais il existe en réalité deux types d’intervention. Dans le premier, la patiente est endormie et la/le gynécologue dépose deux clips sur ses trompes afin de les boucher. Elle est décrite comme une opération irréversible, mais Jean Vandromme confirme qu’il est possible de réimperméabiliser les trompes et de restaurer leur fertilité. D’après lui, le taux de réussite de cette opération se situe entre 50 et 80 %. Parmi les patientes de Saint-Pierre, la moitié s’est tournée vers l’option partiellement réversible (ce sont les femmes de plus de 30 ans ayant déjà eu un·e enfant qui choisissent principalement cette méthode).

La seconde méthode d’intervention, irréversible, est la salpingectomie. La patiente est endormie et on lui ôte les trompes. À Saint-Pierre, 100 % des femmes de moins de 27 ans optent pour cette méthode. Pour le gynécologue Jean Vandromme, “si les jeunes patientes se tournent vers la salpingectomie, c’est parce qu’elles font de leur opération un acte éthique et engagé. Elles sont plus radicales et veulent l’irréversibilité.” Mais avant de choisir le type d’opération, plusieurs étapes sont encore à franchir. Retrouvons Charline, qui entre maintenant dans le bureau du gynécologue.

Suite du parcours

Quinze minutes, c’est le temps du premier rendez-vous de Charline chez Jean Vandromme. Il lui explique comment la procédure de ligature des trompes va se dérouler afin de s’assurer de sa motivation. Après cinq ans de réflexion, la jeune femme est déterminée. Rapidement, elle débute le parcours de soins. Direction la rue Haute pour rencontrer Hilde Matthijs, l’infirmière sociale.

J’ai parlé de mon vécu, de mes envies, de mon rapport à la maternité et cela dans une totale bienveillance.

L’un des objectifs de cet entretien est de vérifier que la patiente est consciente de tous les moyens de contraception existants avant de choisir le seul qui soit irréversible. Si la démarche peut paraître infantilisante au premier abord, Charline pense qu’elle peut être utile pour certaines personnes. Dans son cas, elle est très informée sur cette question et l’échange avec l’infirmière sociale prend un autre tournant : “J’ai parlé de mon vécu, de mes envies, de mon rapport à la maternité et cela dans une totale bienveillance.”

Son premier rendez-vous avec la psychologue Françoise Leroux s’enchaîne dans la même journée. Lors d’une conférence donnée sur le sujet en janvier 2022 à Saint-Pierre, la psychologue explique : “La posture que j’ai prise est vraiment celle d’accompagnement. Je rencontre des femmes qui ont l’impression qu’elles sont là pour être évaluées mais ce n’est pas le cas.” En effet, lorsque Charline rentre dans le bureau de Françoise Leroux, elle est sur la défensive et dans la justification.

Lors de la conférence, la spécialiste raconte qu’au début de sa pratique, elle explorait de façon détaillée le vécu des femmes pour comprendre ce qui les motivait psychiquement, mais elle pense désormais que “même si elles suivent des thérapies, seul leur rapport à leur décision peut évoluer, mais leur volonté de stérilisation, elle, ne changera pas”.

À la fin du rendez-vous avec Charline, Françoise Leroux s’assure qu’elle souhaite toujours poursuivre sa démarche. Ce qui est important pour la psychologue, c’est d’évaluer la question de l’”ambivalence”. Afin de prendre du recul sur la première séance, la psychologue impose un délai d’un mois avant le second rendez-vous. Mais les patientes n’ont pas le temps de s’ennuyer, puisqu’elles ont un exercice à rendre. Consigne : “Garder une trace de l’état d’esprit dans lequel on est, au moment où l’on fait la démarche de demander une stérilisation définitive.” La forme est libre à l’interprétation de chacune. Les femmes arrivent dans son bureau, d’après Françoise Leroux, “en mode guerrières” et elle souhaite les éloigner de cette attitude. Auparavant, elle demandait à ses patientes d’expliquer leur position à “l’enfant qu’elles n’auront jamais”. Certaines patientes n’ont pas apprécié cette démarche et la spécialiste s’est immédiatement remise en question. Désormais, elle laisse les femmes choisir à qui elles souhaitent écrire.

Pour Charline, “écrire à “l’enfant que je n’aurai jamais” ne m’inspire pas. C’est comme si j’écrivais à un mur.” Elle décide de s’adresser à… personne en particulier et à tout le monde à la fois. Ses deux pages raturées sont comparées par la psychologue à la tribune d’Emma Watson à l’ONU. En 2014, l’actrice engagée y avait tenu un discours mémorable sur l’égalité des genres…

L’opération

À la suite des rendez-vous, les médecins se réunissent, passent en revue le dossier de chaque patiente et acceptent ou refusent l’accès à l’opération. Depuis la création du parcours de soins, les refus sont très rares.

Charline, confiante, retrouve son gynécologue qui lui fait part de la décision : positive. La jeune femme est émue, son angoisse de tomber enceinte appartiendra bientôt au passé. Il est temps pour elle de décider pour quelle technique elle va opter. Elle choisit la méthode irréversible, la salpingectomie. Elle signe la décharge et va se détendre dans un café voisin. Un grand latte, une part de tarte. Et c’est avec impatience qu’elle attend son opération, prévue le 19 mai 2022.

De cette expérience, Charline raconte : “Le personnel de l’hôpital m’a accueillie avec beaucoup de bienveillance.” Une semaine de repos et quelques soins post-opératoires plus tard, la jeune femme avait complètement récupéré. Elle s’attendait à être prise d’une grande émotion en sortant de l’hôpital, mais elle confie : “Je me suis simplement sentie apaisée, en cohérence avec moi-même.”

Six mois plus tard, les cicatrices de Charline disparaissent et son apaisement grandit. Elle remercie toutes les personnes rencontrées et se dit reconnaissante envers elles d’avoir été à l’écoute de ses désirs profonds.

Le travail de recueil du témoignage de Charline a commencé en mars 2022. Depuis, le parcours de soins a évolué et continue d’évoluer grâce au travail des professionnel·les de Saint-Pierre qui ont à cœur de donner de la légitimité aux femmes qui prennent la décision d’une vie sans enfant.

Bisexualité, un appel à vivre libre

Mathilde Ramadier est autrice et scénariste de bandes dessinées. En septembre 2022, elle a publié Vivre fluide. Quand les femmes s’émancipent de l’hétérosexualité, une enquête intime sur la bisexualité féminine. Un sujet très peu étudié qui concerne pourtant de nombreuses femmes.

© Gianluca Quaranta

Pourquoi avoir voulu écrire un livre sur la bisexualité féminine ?

“Ça faisait longtemps que je souhaitais mener une réflexion féministe autour du corps et du désir. Le sujet de la bisexualité m’est cher depuis longtemps, car même si je mène une vie d’hétérosexuelle en façade, je ne me suis jamais considérée comme telle. Et puis c’est devenu une évidence pour moi après avoir eu une conversation avec mon éditrice en avril 2021. Nous avons parlé de femmes bisexuelles en formulant l’hypothèse que le phénomène était bien plus répandu qu’on ne l’imagine. J’ai voulu étudier la question de plus près en me rendant dans des librairies féministes à Paris et Berlin et j’ai constaté qu’il n’y avait presque pas de littérature sur le sujet.”

Éditions du Faubourg 2022, 304 p., 19,90 eur.

Peut-on d’ailleurs définir la bisexualité, ou l’exercice relève-t-il en lui-même d’un défi ?

“J’ai effectivement été prise d’un vertige en commençant à travailler sur ce livre. Je me suis aperçue qu’on ne pouvait pas écrire sur la bisexualité sans parler de genre, de lesbianisme, de cinéma, de littérature, qu’il y avait de nombreuses ramifications. Je craignais de ne pas pouvoir cerner mon sujet. Mais pour revenir à votre question, on peut définir cette orientation par le fait d’être attiré·e par plus d’un genre, à la différence des “monosexualités” que sont l’homosexualité et l’hétérosexualité. Il est vrai que le terme n’est pas utilisé par les jeunes générations qui préfèrent parler de “pansexualité”, ou qui ne souhaitent pas du tout catégoriser. Le terme de bisexualité est plutôt utilisé par des générations un peu plus âgées.”

Alors pourquoi ne pas parler de pansexualité ?

“On craignait que ce terme moins connu du grand public éloigne beaucoup de lecteurs/trices. Le terme de “bi” me semblait plus accessible, plus intéressant et plus intersectionnel, en même temps je ne voulais pas qu’il figure sur la couverture, peut-être parce que je ne me définis pas juste ainsi. De plus, j’ai remarqué lors de mes entretiens que si la binarité de genre gênait en théorie, en pratique ces personnes étaient attirées par des hommes et des femmes cis.”

Est-ce que votre essai s’adresse plus particulièrement à un public hétérosexuel ?

“J’ai rencontré tous les types de personnes queers lors de mes lectures en librairie. Rarement des hommes, parfois quelques-uns. Mais c’est sûr qu’une lesbienne féministe en aurait beaucoup moins à apprendre dans ce livre qu’une hétérosexuelle féministe débutante. En tous les cas, j’ai essayé d’avoir un panel de témoignages variés pour ne pas me limiter au profil de la femme en couple hétérosexuel qui veut élargir son horizon, comme au Skirt Club [un réseau international qui organise des soirées entre femmes, ndlr], où la clientèle est essentiellement hétérosexuelle et hétéronormée.”

Le besoin de catégoriser et de se positionner est ancien, cela a quelque chose de rassurant pour l’ego.

Depuis quand la bisexualité fait-elle l’objet d’un discours ?

“Il y a eu pendant longtemps une confusion sur ce mot avant qu’on arrive au débat sur la bisexualité. Au 19e siècle, le terme de bisexualité est restreint aux sciences naturelles. En botanique, cela désignait les plantes qui ont un potentiel mâle et femelle. En médecine, il était utilisé en lien avec l’hermaphrodisme [quand un être vivant présente à la fois ou alternativement des organes mâles ou femelles, ndlr] ou l’intersexuation [quand un être vivant présente des caractéristiques sexuelles ne correspondant pas aux normes typiques binaires masculines ou féminines, ndlr].

Puis l’arrivée de la psychanalyse et la rencontre entre le médecin allemand Wilhelm Fliess et le fondateur de la psychanalyse autrichien Sigmund Freud font émerger l’idée qu’il y a un principe mâle et féminin chez tout être humain, concept qu’a repris Freud avec le terme de “bisexualité psychique”. Malgré tout, elle reste considérée pendant longtemps comme une phase transitionnelle, un égarement et elle ne fait jamais l’objet d’études à part entière.

Il faut attendre les travaux du zoologue Alfred Kinsey sur la sexualité, publiés en 1948 et 1953, pour voir le discours changer. Parmi ses conclusions les plus importantes, le fait que la bisexualité n’est pas un état transitoire, qu’elle peut être fluctuante au cours de la vie et qu’il y a plusieurs gradations entre l’homosexualité et l’hétérosexualité. Alfred Kinsey avance le chiffre de 25 % des jeunes célibataires interrogées qui se situeraient dans ces positions intermédiaires. Il souligne également que la plupart des femmes font leurs premières expériences sexuelles à l’adolescence avec des femmes, et il pointe l’importance du clitoris dans le déclenchement de l’orgasme féminin.”

Cette ombre a peut-être permis à un certain nombre de femmes d’expérimenter sans être dérangées.

Et ensuite ?

“Malgré cette étude, le terme de bisexualité n’est pas rentré dans le langage courant, il a continué à rester dans l’ombre, n’étant médiatisé qu’à de rares occasions. L’anthropologue américaine Margaret Mead, qui vivait avec une femme, en a parlé dans un article des années 1970. La question a également rejailli en marge des mouvements LGBT sur la côte Ouest après 1968, mais sans ouvrir une vraie brèche, les bisexuel·les n’étant pas forcément les bienvenu·es dans les cercles homosexuels et lesbiens. Cela dit, cette ombre a peut-être permis à un certain nombre de femmes d’expérimenter sans être dérangées !”

La bisexualité serait-elle un des derniers tabous ? En effet, la plupart des 42 personnes âgées de 15 à 58 ans qui ont accepté de témoigner dans votre livre n’ont pas souhaité être citées avec leur prénom. 

“Celles qui ont accepté de témoigner avec leur vrai prénom étaient souvent les plus jeunes, âgées de moins de 30 ans et/ou célibataires. Certaines craignaient d’être reconnues par leur employeur ou par des membres de leur famille. Mais la raison principale qui a poussé nombre de mes témoins à se cacher est d’ordre sexuel, elles ne souhaitaient pas divulguer un pan de leur vie intime. Ce qui est certain, c’est qu’il y a moins de tabou autour de la bisexualité féminine que masculine, cette dernière étant associée à une mise en danger potentielle de la virilité. Les relations sexuelles entre femmes sont moins prises au sérieux, car on s’imagine qu’il n’y a pas de pénétration.”

Votre essai est l’occasion de revisiter notre panthéon artistique et littéraire – Virginia Woolf, Colette, George Sand, Frida Kahlo, Josephine Baker, Anaïs Nin, Nan Goldin… – en nous montrant que la bisexualité est bien plus répandue qu’on ne le pense. Étiez-vous, vous-même, surprise ?

“J’étais au courant pour Frida Kahlo ou Colette, je n’en savais rien en revanche pour Françoise Sagan ou Tamara de Lempicka. Mais cette orientation n’était pas non plus affichée publiquement à l’époque, elle était vécue dans des cercles restreints et très élitistes.”

Les bisexuel·les souffrent de trois principaux chefs d’accusation : l’infidélité, la lâcheté et la traîtrise.

Ce livre permet aussi de se défaire d’un certain nombre de stéréotypes qui entourent la bisexualité. Lesquels sont les plus fréquents ?

“Les bisexuel·les souffrent de trois principaux chefs d’accusation : l’infidélité, la lâcheté et la traîtrise. C’est aussi l’une des raisons pour lesquelles je ne l’ai pas dit à tous les hommes avec qui j’avais une relation, de crainte de susciter la jalousie. La bisexualité renvoie souvent injustement à l’idée d’une hypersexualisation, alors que cette orientation signifie juste qu’on n’est pas attiré·e par un seul genre. Cette image est en train d’évoluer grâce aux nouvelles générations.”

Vous écrivez : “la bisexuelle est une fugueuse, elle prend la tangente”, parce qu’elle refuse de choisir. Au fond, cet essai n’est-il pas tout simplement un appel à vivre libre et faire fi de cette manie de tout étiqueter ?

“Le besoin de catégoriser et de se positionner est ancien, cela a quelque chose de rassurant pour l’ego. Cette tendance a été accélérée avec la révolution industrielle et scientifique au 19e siècle qui a conduit à quantifier et classer les comportements. La sexualité n’y a pas échappé. Cela dit, tout n’a pas vocation à être rendu public, moi-même je ne ressens pas le besoin de faire un coming out.”

Sept fier·ères qui mettent l’amour en lumière

Aujourd’hui encore, les personnes qui sortent de la norme hétérosexuelle et binaire doivent faire face à de nombreuses discriminations. Avec cette galerie subjective, nous avons voulu souligner leur courage, leur résistance, leur force, leur solidarité.

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Camille Pier
L’écriture du scandale

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

“Prothèse plus que privilège, la complicité patriarcale me protège. Comment résister à ce système qui prétend s’ignorer tout en se protégeant lui-même ? Se laisser pousser de longs cheveux, des fleurs sur la chemise, du vernis sur les ongles. Assumé androgyne, entre-les-deux, je funambule.” Camille Pier, artiste-comédien-chanteur-dessinateur-performeur queer, cherche, d’abord sous les projecteurs et dans les mots, “la masculinité qui ne lui a pas été assignée à la naissance”, écrit-il dans Bruzz, puis se meut et mute, au gré des projets et des envies, pour éviter la stagnation, l’assignation, la normalisation. Il s’appelle aussi Pierre Rococo pour la musique, Nestor pour le cabaret, le slam et le burlesque, ou Josie, pour le seul en scène. En 2016, il publiait La Nature contre-nature (tout contre), texte d’une conférence-spectacle coécrite avec la biologiste Leonor Palmeira invitant à explorer l’intimité naturelle dans le monde animalier. Un thème-prétexte à l’éducation populaire et à la vulgarisation scientifique autour des thématiques LGBTQIA+. Son glossaire contient des mots comme tabous, monstres, jouissance, scandale (le nom de son dernier recueil poétique, L’Arbre de Diane 2022), mort et bien sûr… amour.

Joëlle Sambi
Les mots des corps exclus

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

“La poétesse qui cogne et soigne à la fois”, comme la décrit joliment Catherine Makereel dans Le Soir. Joëlle Sambi, autrice et activiste féministe LGBTQIA+, multiplie les projets d’écriture, de slam et de théâtre, de radio. Vous vous souvenez peut-être de sa “Féministe Fiction” parue dans axelle en mai-juin 2022, Palabres gouines. Joëlle Sambi met à nu dans ses textes les oppressions et les violences du monde, policières, racistes, sexistes, homophobes, soulève des interrogations sur l’identité, la norme, l’appartenance. Croisant langues et luttes, l’artiste déterre les tabous, creuse des ailleurs, sculpte un territoire hospitalier pour l’étrange, les corps exclus, sans frontières et sans faux-semblants. Érotisme, amour, désir s’y frayent aussi un chemin, déclinés au pluriel et dans les marges. Lisez plutôt cet extrait de Caillasses, son premier recueil de poèmes (L’Arbre de Diane 2021). “C’est une histoire de meufs, de nanas, de gouines, de gougnottes, de tarlouzes, de dyke, d’homos, de femme, de bitch et de butch. C’est une histoire de filles. De filles, de femmes qui en aiment d’autres comme elles ou pas. Une histoire de lesbiennes. C’est universel, à peu près banal. Une histoire commune sauf qu’on parle de minou et de tarmac aux fougères. On aime ou on n’aime pas. On s’en fout.”

Suzan Daniel
La pionnière

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Parmi les grandes effacées de l’histoire, convoquons Suzan Daniel, militante lesbienne pionnière. Née Suzanne De Pues (Bruxelles, 1918-2007), elle a choisi son pseudonyme en référence à l’actrice Danielle Darrieux. Elle fonde milieu des années 1950 le Centre culturel de Belgique, premier groupe homosexuel bruxellois. Seule femme dans la direction, Suzan Daniel le quittera un an plus tard pour des raisons de lesbophobie, terme créé en 1998, confirmant que la discrimination préexistait à l’expression, exercée tant par des femmes hétérosexuelles que des hommes gays. Elle a donné son nom à un pont à Bruxelles. Mais surtout à un Fonds d’archives et centre de documentation homo/lesbien créé en 1996 à Gand. Ce fonds veut rassembler et classer les archives du passé homo/lesbien et transgenre mais aussi “faire croître une conscience d’archive : faire prendre conscience à toute personne concernée que ces traces du passé ont une valeur et sont importantes à sauvegarder.” Nelly, Nadine et Marian ne diront pas le contraire (lire ci-dessous).

Nelly Mousset-Vos et Nadine Huong
Les papillons dans le ventre

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

L’amour entre Nelly et Nadine a jailli comme les coquelicots dans le camp de concentration de Ravensbrück. Cette histoire ne nous serait jamais parvenue si le réalisateur suédois Magnus Gertten n’y avait pas consacré un documentaire. Et si la petite-fille de Nelly, Sylvie Bianchi, n’avait pas enfin ouvert la boîte à archives laissée par sa “mamina”, qui contient cette histoire d’amour placée sous le double sceau du secret, celui des camps, celui de l’amour lesbien. Dans la boîte, un journal qui retrace les années où Nelly Mousset-Vos, chanteuse belge d’opéra devenue une espionne de la Résistance française, a survécu dans un camp de concentration. Dont ce coup de foudre, un soir de Noël avec Nadine lui demandant de chanter Madame Butterfly. Ces archives “intimes” par miracle conservées contiennent aussi des images filmées par Nadine qui a documenté leur vie commune de rescapées amoureuses, considérées jusqu’alors par Sylvie et la famille comme de “bonnes amies”… À travers ce destin, surgissent aussi d’autres femmes que l’histoire n’a pas voulu voir, ou bien regarder.

Marian Lens
Mémoire vive

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Marian Lens est une figure historique du militantisme lesbien, que les balades féministes organisées depuis quelques années à Bruxelles ont sans nul doute contribué à faire connaître. Née à une époque “où il n’y avait pas de mot pour dire qu’on était amoureuse d’une fille”, elle fonde la première librairie lesbienne belge, Artemys, en 1985. Marian Lens n’avait pas peur d’ouvrir des portes bien verrouillées puisqu’elle avait aussi consacré son sujet de mémoire à “l’idéologie de la différence hommes-femmes dans un système hétéro-patriarcal”, jugé “pamphlétaire” par l’ULB, comme on peut le lire dans le portrait que lui a consacré Louis Van Ginneken pour Médor. Sa librairie – lieu de mémoire, de lutte, mais aussi de soin et de liens – disposait d’une vitrine translucide, à dessein, pour ne plus se cacher. Aujourd’hui, Marian Lens continue son travail de visibilisation et de transmission à travers les L-tours, parcours lesbiens et arc-en-ciel à Bruxelles. Conserver les traces, “c’est sécuriser la mémoire d’un mouvement de plus de 50 ans”, dit-elle dans Médor. C’est aussi se donner les outils pour appréhender un futur où les droits des femmes et des minorités peuvent très vite reculer.

Angèle
Balance tes injonctions

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Été 2020, la chanteuse Angèle s’affiche sur les réseaux sociaux avec un T-shirt portant le message “Portrait de femmes qui aiment les femmes”. Une sortie qui rappelle le “Je t’aime” d’Adèle Haenel adressé à sa compagne lorsqu’elle reçoit son premier César en 2014. Des moments qu’on peut qualifier de politiques, parce que ce n’est pas rien, quand on est une femme, une femme artiste, célèbre, de parler d’amour, et de proclamer publiquement ses sentiments pour une autre femme. Dans son documentaire sur Netflix, Angèle revient sur son coming out “volé” par un animateur télé qui l’a annoncé en direct et avant elle. La chanteuse avait précisé sa démarche au magazine Elle : “L’idée [avec cette photo, ndlr] était de dire : oui je suis tombée amoureuse d’une femme, mais regardez, ça n’a rien changé, en fait. […] Je trouverais merveilleux que ce ne soit plus un sujet, même si objectivement, ça l’est encore. […] Il est important d’en parler car on a tous besoin de représentations.” La chanteuse est aussi revenue sur sa bisexualité au micro de la chroniqueuse sexo Maïa Mazaurette dans le documentaire Désir : ce que veulent les femmes. Elle y raconte s’être débarrassée “des règles établies, codifiées, réglementées” et par là, avoir “forcément déconstruit sa façon de penser et de désirer”. Queen A !

Quand les lesbiennes désertent les cabinets des gynécos

“J’ai arrêté d’aller voir un gynéco.” Une phrase qui revient dans la bouche de personnes lesbiennes qui ne se sentent pas écoutées par les gynécologues, sages-femmes ou professionnel·les de santé lors de consultations gynécologiques. Peur de la réaction de la/du médecin face à l’annonce de leur orientation sexuelle d’un côté, mauvaise prise en considération des risques d’infections sexuellement transmissibles de l’autre. Quels sont les dangers encourus par les lesbiennes lorsqu’elles désertent les cabinets des gynécologues ?

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Elles portent les doux noms de mycose, virus du papillome humain, chlamydia, gonorrhée, VIH, syphilis ou encore herpès génital et ont en commun d’être des infections sexuellement transmissibles (IST) – ou une infection génitale pour la mycose.

Les IST, pour les lesbiennes aussi !

Ces infections, provoquées par des bactéries, des virus ou des parasites, se transmettent lors de diverses pratiques sexuelles (pénétration vaginale et anale, fellation, cunnilingus, anulingus, caresse/masturbation sexe contre sexe, etc.). Il y a donc un risque de transmission d’IST au cours d’un rapport entre femmes/personnes ayant une vulve, notamment lors de contacts entre muqueuses vaginales, anales et buccales. S’il n’y a pas de risque de transmission du VIH au cours d’un rapport lesbien, la chlamydia peut causer une infertilité quand elle n’est pas traitée à temps.

L’anamnèse et la question de l’orientation sexuelle

“Il y a un problème dans l’anamnèse [recueil de données sur les patient·es par la ou le médecin afin de réaliser le diagnostic, ndlr] qui est souvent hétéronormée et qui n’est donc pas adaptée à tous les patients et patientes”, déclare Camille, de l’association suisse Les Klamydia’s, qui fait de la prévention en santé sexuelle auprès des femmes ayant des relations sexuelles avec des femmes (et personnes ayant une vulve) et auprès des médecins.

Un exemple d’anamnèse hétéronormée : “Avez-vous une vie sexuelle active ?” Si tel est le cas, la personne lesbienne répondra par l’affirmative. “Utilisez-vous un contraceptif ?” Le plus souvent, elle répondra que non, sauf si elle utilise un contraceptif pour d’autres visées que la contraception, comme par exemple la diminution des douleurs menstruelles. “C’est avec cette suite de questions que médecin et patient·e arrivent dans une impasse, poursuit Camille. Le ou la médecin, n’ayant pas posé la question de l’orientation sexuelle, conclura que la personne en consultation a un désir d’enfant ! L’anamnèse risque fortement d’être faussée.”

Les amours obliques

Ce qu’on vous propose dans cet article, c’est un voyage sans destination ni fin, celui d’une vie, en marge de l’autoroute toute tracée des assignations hétéronormées de l’amour. Une épopée qui n’aura pas pour protagonistes Ève et Adam, mais des Lilith, du nom de ce personnage mythique, déesse mésopotamienne présentée comme la première femme d’Adam et née de la même argile, qui échappera à son autorité pour vivre sa vie comme elle l’entend. Un long bal durant lequel le prince ou la princesse ne viendra pas. Mais ce sera karaoké au château pour tout le monde. Nous allons donc prendre la tangente par rapport à la ligne droite de l’ordre dominant, qui peut rendre l’amour de soi et des autres difficile, voire impossible. À bord de cette traversée, sur fleuve tranquille ou mer agitée, nous avons pour équipage Axelle et Laila, cogérantes de The Crazy Circle, bar lesbien, féministe et queer situé à Bruxelles ; Marie Darah, slameureuse, artiste multidisciplinaire de genre fluide ; et Marie Vermeiren, qui évolue dans le milieu artistique et du cinéma et participe à la visibilisation des femmes réalisatrices (via le festival Elles Tournent). Des arpenteuses d’autres amours heureuses.

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Prendre le large

Dans une société patriarcale, quitter le système hétérosexuel, c’est prendre un chemin de traverse. Cet exode, au sens propre et figuré, peut se révéler très coûteux. Les personnes LGBTQIA+ courent davantage le risque de se retrouver en grande précarité. La rupture n’est pas toujours extrême, mais c’est une situation qui se révèle encore difficile et génère des souffrances, dans un monde où les discriminations à l’égard des personnes LGBTQIA+ subsistent, et dans tous les pans de l’existence. Comment l’avez-vous vécue ?

Marie Darah : “C’est très coûteux. Si on arrive à ce moment de rupture, c’est qu’on n’est pas accepté·e là où on est. On ne “choisit” pas d’être hors normes. Ça coûte de devoir laisser des gens derrière nous, d’ouvrir des voies qui n’ont jamais été ouvertes, ça coûte d’avoir peur, de s’entendre dire que c’est un suicide social… Mais ça procure du bien-être d’être soi, d’aller là où personne n’est jamais allé. Là-bas, je serai seul·e peut-être, mais je serai moi chez moi. Cette liberté demande tellement de courage. C’est le risque de la “hors-normité”.”

Marie Vermeiren : “Pour moi, c’était un acte de résistance. J’ai vécu cette sortie d’autoroute comme une porte qui s’ouvre vers une forêt magnifique, un nouveau monde qu’on découvre tous les jours.”

Moi, je n’ai jamais fait de coming out. Ça m’a toujours paru évident, même si j’ai fait un crochet par “hétéroland” pour ne pas mourir bête.

Axelle : “Ce nouveau monde me semblait caché et souterrain, et puis, quand on y entre, on se rend compte qu’on n’est pas toute seule. C’est très excitant. Mais en effet, cela coûte. J’ai laissé les contacts là où ils étaient. J’ai quitté une commune plus âgée, plus catholique. Ça m’aurait trop coûté d’expliquer tout, à chaque personne. J’ai laissé une partie de ma vie derrière, j’ai créé de nouveaux contacts. Ce qui est difficile, encore aujourd’hui, c’est de répéter le coming out plusieurs fois : chez le médecin, quand j’annonce que je pars en vacances avec ma copine, etc.”

Laila : “Moi, je n’ai jamais fait de coming out. Ça m’a toujours paru évident, même si j’ai fait un crochet par “hétéroland” pour ne pas mourir bête. Ça n’empêche que ça coûte de l’énergie, de faire des efforts, de ne plus avoir de relations privilégiées avec des personnes que tu aimes, de rester en superficie avec des personnes qui savent, mais font semblant qu’elles ne savent pas. Mais ça vaut la peine, puisque c’est pour être là où on veut être.”

Le havre

C’est au The Crazy Circle que nous nous sommes retrouvées pour embrasser ce vaste sujet. Un bar lesbien, féministe, queer, lieu de résistance, mais aussi d’amour…

Axelle : “Pas mal de couples se sont créés ici, et beaucoup d’amitiés. Ici, peut-être plus qu’ailleurs, les couples de même sexe osent se toucher, se montrer des signes d’affection, alors que dans d’autres lieux, on doit être plus discrètes. Dans les bars gays, on ne se sent pas vraiment à l’aise, on est vraiment en minorité en tant que femmes. Quand je me suis rendu compte de mon orientation, assez tardivement, j’ai cherché des lieux où je pouvais rencontrer une femme : c’était pas évident. Je voulais un endroit où voir des lesbiennes, en vrai, où apprendre à rencontrer des personnes sans que ce soit directement connecté à une relation.”

Laila : “Ce projet est né d’une histoire d’amour à la base, puisqu’on est cogérantes et amoureuses.”

J’ai vécu cette sortie d’autoroute comme une porte qui s’ouvre vers une forêt magnifique, un nouveau monde qu’on découvre tous les jours.

Marie V. : “Les endroits sympas où on peut se sentir en sécurité, il n’y en a plus des masses à Bruxelles, comparé à avant. Ça pose problème que des femmes ouvrent des lieux où elles ont la première place. Il y a pas mal de temps, je faisais partie d’un collectif qui avait ouvert, à Bruxelles, un café où les femmes avaient la priorité, c’était le Lilith, un espace où se sentir bien et parler avec n’importe qui, faire des liens.”

Marie D. : “J’étais justement ici il y a deux jours ! J’aime bien venir, pour les scènes ouvertes, les “Femme Jam” [soirées 100 % femmes, ndlr], d’autant que j’ai du mal à aller dans les bars depuis que je ne bois plus. Dans ma jeunesse, à Charleroi, je n’ai pas trouvé beaucoup d’endroits “secure” comme ici. Il y avait peut-être plus de lieux LGBT, mais ils étaient, selon moi, trop orientés sur le combat, sur le rejet de l’hétérosexualité, je ne m’y retrouvais pas.”

Est-ce que vous avez rencontré des résistances pour l’ouvrir et aujourd’hui encore, devez-vous faire face à des difficultés ou menaces ?

Laila : “Ça ne plaît pas à tout le monde qu’à certaines soirées, on filtre les entrées. Lors des “Femme Jam”, il y aura toujours un homme qui nous dira qu’on fait de la discrimination. On passe beaucoup de temps à faire de la pédagogie.”

Axelle : “Quelques voisins au début se sont demandé ce qu’on ouvrait. Ils pensaient que c’était un club échangiste. Je ne parlerais pas de menaces, plutôt de jalousie. On fait de la musique, du karaoké, c’est safe, tu peux laisser ton sac traîner, les boissons ne sont pas à un prix fou… Ça donne envie, c’est un lieu de joie. Mais cette bonne ambiance, le fait que ce soit un lieu communautaire où nous ne devons pas être sur nos gardes, c’est garanti aussi par le fait que ce n’est pas ouvert à tout le monde.”

Dans ces nouveaux lieux, on ne se sent jamais hors normes puisque tout le monde l’est… On est ensemble, avec nos singularités, et ça crée de la joie.

Marie D. : “Mais il ne s’agit pas d’un entre-soi. Il y a beaucoup de diversité dans ces lieux hors normes, et je pense que c’est pour cela que je ne me sens pas exclu·e, par rapport aux lieux d’avant que je trouvais cloisonnés. Dans ces nouveaux lieux, on ne se sent jamais hors normes puisque tout le monde l’est… On est ensemble, avec nos singularités, et ça crée de la joie.”

 

© Jeanne Saboureault, pour axelle magazine

Faire équipe

Les personnes LGBTQIA+ ont une chose en commun : ne pas être dans la norme. Mais elles n’échappent pas aux divisions. Comment gérer les tensions, ne pas reproduire de nouvelles dominations ? Comment être ensemble dans cette diversité “hors normée” ?

Axelle : “On espère toujours que le lieu soit suffisamment accueillant, pas uniquement pour les personnes lesbiennes mais aussi pour les personnes bi, transgenres, gender fluid [au genre fluide, ndlr], etc. Ce n’est pas facile parce qu’au sein de la communauté LGBT, il y a des biphobes, des transphobes. On essaye de travailler à ces divisions pour avoir un lieu vraiment safe là-dessus, mais c’est un grand défi.”

Marie D. : “On n’arrivera jamais à un “safe space”, c’est impossible, mais on doit tendre vers un “safer space” [un espace “plus sécurisé”, ndlr]. Il faut réapprendre qu’on n’est pas obligé·e d’être d’accord.”

Marie V. : “Je renvoie au livre de Sarah Schulman, américaine, féministe, fondatrice d’ACT-UP [association historique de lutte contre le VIH/sida issue de la communauté homosexuelle, ndlr]. Dans Le conflit n’est pas une agression, elle explique que ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord qu’on doit rejeter l’autre. Et qu’à l’inverse, ce n’est pas parce que la personne en face n’est pas d’accord qu’on doit prendre ça pour une agression. C’est comme ça qu’on grandit ensemble.”

Axelle : “Au Crazy, on a deux mots : bienveillance et respect ! Notre approche par rapport à d’autres lieux queers se situe dans l’éducation et le dialogue. Laila fait un gros boulot pour “éduquer”. On ne chasse pas à coups de balai celles qui sont un peu à côté de la plaque et on pense – surtout quand il s’agit de jeunes – que ces personnes peuvent changer. C’est un défi… J’ai 38 ans, Laila 48, et j’ai l’impression que c’est parfois plus tendu chez les jeunes que dans “notre” génération, que la discussion est plus vite tranchée. Leur seuil d’acceptation est peut-être plus bas, ça nous bouscule.”

Une nouvelle carte amoureuse*

En s’affranchissant du régime hétérosexuel, c’est un monde de possibles qui s’ouvre. Il est donc nécessaire de dessiner des voies à partir d’une page blanche, mais aussi de créer un nouveau vocabulaire pour se libérer du glossaire dominant. Comment se nommer pour exister ? Et comment se nommer sans s’enfermer ?

Marie D. : “Des nouveaux mots voient le jour, et c’est chouette. Mais parfois, cela engendre la production de nouvelles cases. Par exemple, je n’emploie plus le terme de “non-binarité”, car il crée une catégorie en miroir de la binarité. Je me définis comme “gender fluid” car je défends un droit à ne pas être fixe, à me redéfinir constamment, à être en mouvement. On accepte aujourd’hui que des gens refusent des normes et des assignations, mais accepte-t-on les personnes qui veulent rester en mouvement, qui ne veulent pas s’installer de façon permanente dans une case ?”

Marie V. : “À propos de la non-binarité, ça me bloque aussi de me définir en négatif. Je suis plein de choses, je n’ai pas besoin de cachet. Il nous faut trouver d’autres mots, mettre en commun nos significations du même mot, créer des idéogrammes.”

Comment avez-vous construit ou nourri votre imaginaire amoureux alors que les productions culturelles, médiatiques et sociales, en grande majorité, reproduisent la norme dominante ?

Laila : “On ne choisit pas vraiment d’être hétéro ou homo. Des personnes disent encore qu’il ne faut pas parler de ces choses aux enfants, ne pas ouvrir leur imaginaire à cela, pour ne pas qu’ils choisissent cette orientation sexuelle. J’ai grandi à Casablanca, sans avoir jamais vu une lesbienne, sans avoir vu un film lesbien. Mais je suis lesbienne, j’ai toujours été comme ça. Je n’ai pas d’explications, si ce n’est quelque chose d’ordre instinctif.”

Marie V. : “Les grandes réalisatrices du passé, très connues à leur époque, ont été gommées par l’histoire et nombre d’entre elles étaient lesbiennes. J’ai remarqué que j’étais fascinée par des livres, des films, etc., sans savoir que c’était l’œuvre de lesbiennes. Il doit y avoir du sous-texte !”

Marie D. : “Et des projections ! Même devant les Disney ! J’ai recréé tous les Disney dans ma tête, j’ai trouvé leur sous-texte LGBTQIA+. Mais ça évolue… J’ai pleuré récemment devant une série où une fille demande à une autre son consentement avant de l’embrasser. C’était la première fois que je voyais une scène romantique comme ça !”

J’avais peur de ne pas passer au-dessus des stéréotypes inculqués dans mon enfance. Mais quand j’ai vécu cette relation, tout s’est effacé et c’était magnifique.

Axelle : “C’était une de mes craintes dans ma première relation. J’avais peur de ne pas passer au-dessus des stéréotypes inculqués dans mon enfance. Mais quand je l’ai vécue, tout s’est effacé et c’était magnifique.”

Marie D. : “Ça reste difficile d’envisager une sexualité nouvelle, surtout quand on a beaucoup de traumas. Je cherche encore à trouver comment construire une relation qui, au-delà du prisme hétérosexuel, n’est pas dans un prisme de domination. Je n’arrive pas trop à sortir des clichés généraux homos ou hétérosexuels. Par exemple, je n’ai jamais voulu d’enfant, je n’ai pas ce désir, mais je suis très maternel·le. La société est en train de déconstruire la famille nucléaire et rend possible une redéfinition de la maternité. J’ai des amies qui considèrent “leurs” enfants comme des enfants de la communauté et, avec elles, je peux assouvir mon envie de materner en dehors du couple. Je pense que nous avons à construire des communautés, et des communautés amicales.”

L’horizon

“Franchir le pas qui consiste à mettre en question l’hétérosexualité en tant que “préférence” ou “choix” pour les femmes – et fournir l’effort intellectuel et affectif qui va avec – demandera un courage particulier chez les féministes hétérosexuellement-identifiées, mais je pense que la récompense en sera grande : une libération de la pensée, de nouveaux chemins à explorer, l’ébranlement d’une nouvelle région de silence, une nouvelle clarté dans les rapports personnels”, écrit Adrienne Rich (1929-2012), féministe américaine lesbienne qui a travaillé à dénaturaliser l’hétérosexualité. Quelles sont vos pistes pour que l’hétérosexualité ne soit plus un outil de domination patriarcale ?**

Axelle : “Mon passage de l’hétéroland aux relations lesbiennes m’a permis de penser au-delà de la binarité de genre, de découvrir qu’il n’y avait pas d’image figée, qu’un autre monde en dehors de la famille hétérosexuelle était possible. J’aimerais qu’on supprime les rôles tout faits, attendus des hommes et des femmes, qui sont très puissants dans le monde hétéro, même s’ils peuvent être confortables et rassurants.”

Laila : “Quand quelqu’un décède, on réagit différemment, que l’on soit croyant ou non. Quand on a des croyances, on peut s’accrocher à quelque chose. C’est pareil pour l’amour. Quand on n’est pas dans le régime hétérosexuel, on ne sait pas s’accrocher à quelque chose, on ne sait pas se rassurer.”

Marie D. : “Il faut retravailler la notion de consentement. C’est l’abus de pouvoir le problème, la structure sociale verticale. Il faut aussi oser aller à la découverte de soi, connaître les différentes possibilités pour avoir le choix de les explorer… Ça fait peur, mais c’est une peur saine qu’il faut se réapproprier, qu’on soit cis-hétéro, de genre fluide… Prendre des risques, c’est aussi avoir des responsabilités.”

Marie V. : “Le problème n’est pas l’hétérosexualité, c’est le patriarcat ! Et le patriarcat a mis comme schéma principal une certaine forme d’hétérosexualité, qu’on pourrait qualifier d’hétéronormativité. C’est à cette structure sociale qu’il faut s’attaquer.”

* Titre inspiré par la “carte du patriarcat culturel” réalisée par Marie Vermeiren dans la revue féministe belge Scumgrrrls n° 11, printemps 2007. Cette carte comptait par exemple la pointe Nouvelle Vague, la rivière Freud, mais aussi le gouffre des femmes battues, d’une profondeur inconnue.
** Question empruntée à Charlotte Bienaimé dans “Nos désirs font désordre”, Un podcast à soi, Arte Radio. Cet épisode se penche sur les expériences de femmes devenues lesbiennes après de longs parcours hétérosexuels.

Aurore Kesch : “Enrayons la machine !”

À l’occasion du 8 mars, Journée internationale de lutte pour les droits des femmes, axelle fait le point sur les projets de l’association Vie Féminine, qui se veut toujours au plus proche des réalités des femmes. Nous en avons parlé avec sa présidente Aurore Kesch.

Aurore Kesch © Sarah Benichou pour axelle magazine

Que préparez-vous en vue de ce 8 mars ?

“Il s’agira d’un 8 mars un peu spécial, de résistance. Car les crises s’accumulent et les femmes sont en première ligne, notamment de la crise énergétique. Cela raconte quelque chose de notre monde qui est géré par l’économie, le capitalisme et la spéculation. Ce 8 mars, nous n’allons pas nous taire face à la précarisation galopante des femmes. Un très grand nombre de droits différents seront mis en avant dans toutes les régions de Belgique francophone, avec des spécificités locales. Des actions seront organisées : certaines femmes vont faire grève, il y aura des conférences, des ateliers, des expositions et des rassemblements.”

On sortira difficilement du patriarcat sans sortir également des logiques capitalistes.

Qu’est-ce qui vous préoccupe actuellement sur le plan des droits des femmes ?

“Les sujets ne manquent jamais. En ce moment, on peut épingler deux actualités : le statut de cohabitant·e et la pension. Ces deux dossiers sont trop peu souvent analysés d’un point de vue genré, pourtant ces décisions politiques affectent les femmes. Nous demandons (avec d’autres) la suppression du statut de cohabitant·e. Du côté de la pension, la récente réforme prévoit l’assimilation des congés de maternité et d’allaitement dans le calcul de la pension… mais pas des congés parentaux ! Ce sont pourtant souvent les femmes qui vont prendre congé pour s’occuper des enfants, c’est-à-dire qu’elles pallient le manque de l’État en termes de places d’accueil, et cela n’est pas sans conséquence : 70 % des personnes en situation de pauvreté individuelle sont des femmes. On comprend comment le néolibéralisme organise la dépendance des femmes, et se base sur leur travail gratuit. On sortira difficilement du patriarcat sans sortir également des logiques capitalistes. Prenons la question du tarif social élargi depuis le début de la crise énergétique qui a amorti le prix de l’énergie et qui va disparaître. Pour les femmes, cela va être encore plus compliqué – alors que certaines venaient déjà pour se chauffer dans les locaux de Vie Féminine ! Nous n’allons pas oublier non plus les élections de 2024 qui arrivent et qui charrient de nombreux enjeux. Nous souhaitons faire en sorte que l’avis des femmes compte. La dimension politique de l’éducation permanente, c’est aussi faire en sorte que les femmes s’emparent de ces sujets.”

Comment faire ?

“Nous allons organiser des formations et des ateliers de “réappropriation” sur ces questions. Par exemple, le prix du gaz n’est pas d’abord dû à la guerre en Ukraine ! Il est dû aux spéculateurs qui s’enrichissent à l’occasion de cette guerre. Le gaz est revendu plusieurs fois avant d’arriver dans nos foyers. Ce sont des choix politiques, ce n’est pas une fatalité. Se former et réfléchir ensemble est un bon levier, parce qu’avec les informations et les échanges viennent souvent l’indignation et l’envie d’enrayer cette machine. Nous continuerons aussi à porter les voix et les réalités des femmes au sein des instances politiques et de l’espace public au sens large, des endroits auxquels elles accèdent peu. Ce qui reste important pour nous, c’est de mettre la lumière sur les femmes qui ne font pas grève, qui ne manifestent pas, qui restent encore très invisibles. C’est cette solidarité-là, politique, entre femmes, qui fera bouger le monde.

C’est cette solidarité-là, politique, entre femmes, qui fera bouger le monde.

Enfin, en octobre, nous organiserons un grand congrès. Nous nous baserons sur des consultations collectives auprès des femmes elles-mêmes, bien sûr, qu’elles soient actives depuis 70 ans au sein du mouvement, ou depuis une heure. Des propositions vont en sortir, qui seront remises en discussion lors d’assemblées régionales, en vue de ce congrès. L’idée est de se renforcer sur notre identité commune et sur la manière de la vivre. Pour faire advenir le monde qu’on veut…”