
Qu’est-ce qui vous enthousiasme actuellement ?
Ce qui m’enthousiasme actuellement c’est de voir le vent qui commence à tourner en ce qui concerne la sensibilité des gens face au climat. La jeunesse se mobilise depuis un moment déjà, c’est maintenant au tour de petites entreprises et des gens qui ont une assise familiale et professionnelle d’être prêts à agir. Certes, il reste encore beaucoup à réaliser : les grosses industries continuent de polluer notre terre, notre air, nos océans, la biodiversité est toujours en péril mais, on sent que les citoyens commencent à vouloir changer les choses. La jeune génération s’est mise en action et j’ai l’impression qu’elle ne laissera pas le statu quo continuer ainsi. Par ailleurs, la justice climatique a maintenant enfin fait son apparition au centre des discussions, alors j’ai de l’espoir !

Quelque chose à pointer du doigt dans votre métier ?
Oui… Il est frustrant que dans le monde de la recherche, il y ait encore un tel manque de reconnaissance quant à l’énergie que beaucoup dépensent dans le partage de leurs recherches vers le grand public, les jeunes et/ou les politiques. Or, “toute recherche n’est aboutie que lorsqu’elle est communiquée”, pour reprendre une phrase que j’ai entendue lors d’un congrès et qui m’a beaucoup marquée. Pour les jeunes (et moins jeunes !) chercheur·es engagé·es et qui y consacrent beaucoup de temps, ce manque de reconnaissance est très démoralisant.

Un moment d’indignation : envers qui, envers quoi ?
Eh bien, c’était en regardant une émission sur la RTBF il y a quelques semaines, j’ai appris qu’une fois de plus, l’industrie pétrolière continue de se moquer de nous et de polluer impunément. Il existerait des centaines de milliers de puits de pétrole dans le monde qui, une fois plus assez rentables financièrement, sont laissés à l’abandon ou rebouchés sans suivi aucun. Il en résulte de grosses émissions de méthane dans l’atmosphère depuis parfois plus de 30, 40, voire 50 ans, détruisant les écosystèmes locaux et polluant jusque dans nos jardins.

Avec qui, avec quoi vous sentez-vous en lien ?
Je dirai la musique ! J’ai toujours grandi avec de la musique autour de moi : j’ai commencé le piano à l’âge de 7 ans, ma grand-mère chantonnait tout le temps des airs de musique classique quand on allait la voir, les réunions de famille étaient parsemées de petits concerts improvisés entre cousins, et je ne sais travailler qu’avec de la musique dans les oreilles ! Encore maintenant, quand j’ai un peu de temps libre, j’essaie de jouer quelques notes et à certaines occasions d’aller voir des concerts classiques de jeunes musicien·nes talentueux/euses. Je suis d’ailleurs en admiration devant la Symphonie “Far South” créée en mélangeant une composition originale avec des sons enregistrés en Antarctique comme les bruits de la glace, le silence des immensités de l’Antarctique ou du brise-glace cassant la banquise pour tracer son chemin…

Qu’est-ce qui titille votre curiosité ?
Ce qui titille ma curiosité, ce sont les nouvelles découvertes que l’on fait régulièrement dans les régions polaires : un bel exemple récent, ce sont les nouvelles formes de vie qu’on découvre encore grâce à la prise d’images via des sous-marins et de courageux/euses plongeurs/euses. On est maintenant capables de suivre un sous-marin robotisé sur des kilomètres sous la plateforme de glace flottante (glace qui vient du continent et qui flotte sur l’océan). On a pu découvrir en images pour la première fois la zone exacte où l’océan et la glace du continent sont en contact ! Ces images sont incroyables. Les interactions fascinantes entre l’océan et la glace sont encore mal comprises or, le réchauffement actuel des eaux océaniques accélère la fonte des glaciers en Antarctique… Toutes ces données sont une mine d’or pour la compréhension de ce continent qui détient encore bien des secrets !
Après une licence et un master en géologie à l’Université de Cambridge, Marie Cavitte décide de poursuivre un doctorat en glaciologie à l’Université du Texas à Austin où elle découvre le monde fascinant de l’Antarctique et apprivoise un instrument génial : le radar ! Cet instrument lui permet de visualiser de la glace vieille de millions d’années et de participer au projet European Oldest Ice Beyond EPICA qui a pour objectif de trouver, forer et récupérer de la glace vieille de 1,5 million d’années, afin d’étudier le paléoclimat ! Les premières glaces commencent d’ailleurs à être récupérées !
En dernière année de thèse, Marie rencontre un chercheur belge et ce début d’histoire d’amour est le catalyseur pour son retour en Belgique ! Après un court passage par de la consultance, elle est engagée au Earth and Life Institute à l’UCLouvain pour travailler sur la surface du continent Antarctique afin de comprendre comment la neige est déposée et préservée dans les carottes de glace. Elle décroche alors un poste de chargée de recherche F.R.S.-FNRS pour poursuivre son travail en mariant ses nouvelles recherches avec son premier amour : le radar ! Marie a la chance pendant l’hiver 2021-2022 de partir sur le terrain à la station belge Princess Elisabeth Antarctica pour faire des mesures radars à quelque 500 km de là, en totale autonomie avec 3 autres chercheurs et un guide. Une expérience inoubliable !
Marie Cavitte est également une scientifique très engagée : elle a fait partie du leadership de plusieurs organisations pour la promotion des jeunes chercheur·es. Elle était éditrice en chef du blog cryosphere de l’EGU pendant 2 ans et est à présent coprésidente de l’Association for Polar Early Career Scientists Belgium (APECS Be) avec laquelle elle organise notamment des visites dans les écoles primaires et secondaires. Elle collabore également avec des artistes pour représenter la science dans l’art et fait partie de panels d’expert·es pour le service citoyen, pour Jubel ou encore Bruxelles Laïque. Elle intervient également à la radio et au journal télévisé pour vulgariser les nouvelles découvertes sur la glace et les régions polaires auprès d’un large public ! Marie Cavitte s’intéresse actuellement à la “science for policy” (la politique scientifique), un exercice de vulgarisation extrêmement important afin d’atteindre les objectifs du GIEC pour limiter le réchauffement à 1,5 ou 2 °C d’ici 2100 ! Elle reste optimiste et active dans la lutte pour faire bouger les choses !
(Texte de Marie Cavitte)