
Qu’est-ce qui vous enthousiasme actuellement ?
L’engagement des gens qui m’entourent que ce soit pour aider les migrant·e·s, pour faire avancer la cause des femmes, pour dénoncer les violences à l’égard de la communauté LGBT, pour plus de justice sociale, contre les discriminations… Cela réconforte car par ailleurs les nouvelles du monde ne sont pas réjouissantes. Je vois mes étudiant·e·s, mes enfants sensibilisés au sexisme, au racisme, à l’écologie, la souffrance animale, à une société de plus en plus polarisée socialement. L’engagement n’est d’ailleurs pas toujours directement politique, ce qui m’intéresse aussi c’est la médiation par l’art et depuis quelques années ma vie est jalonnée comme par un parcours d’artistes et mes derniers projets, depuis que j’ai découvert la joie d’être commissaire d’exposition, s’ancrent dans le dialogue avec l’art comme manière de s’engager et d’expliquer le monde notamment aux jeunes. Parler de pornographie, de sexualité ou de violence lorsqu’on a une photographie, un dessin, une sculpture qui médie le regard comme l’esprit, c’est s’enrichir, s’ouvrir… C’est une manière de communiquer autrement qui me plaît et qui s’articule aux mots et aux discours qui sont mon terrain.

Quelque chose à pointer du doigt dans votre métier ?
La liberté c’est le grand confort de mon métier. Il y a les cours à donner et les charges administratives plus ou moins choisies, mais la liberté de faire évoluer les contenus et les formes d’enseignement (j’essaie de développer de plus en plus des pratiques très participatives), la liberté de choisir ses projets et sujets de recherche, de plus en plus engagés socialement pour moi, la liberté d’écrire et de commencer aussi à toucher à de l’écriture plus « autofictionnelle » et mon métier m’en laisse le temps même s’il m’occupe la tête tout le temps…

Un moment d’indignation : envers qui, envers quoi ?
Pour le moment ce sont les femmes contre les femmes, non pas les débats sur des sujets socialement vifs qui sont des échanges, mais les femmes qui condamnent et adoptent des attitudes violentes à l’égard des combats féministes. Je lisais une interview de l’écrivaine nigériane Chimamanda Ngozi Adichie qui disait que les femmes étaient contre les femmes car la société restait misogyne. Du coup oui la tribune des 100 m’a choquée et indignée en raison des amalgames sur le sens des mots (mettre sur le même plan les harcèlements, les abus de pouvoir et la censure artistique), en raison de leur oubli de la réalité des femmes et des violences subies, et surtout en raison d’une sorte de nostalgie nauséabonde des rapports de domination en parlant soi-disant au nom des hommes. Bref, c’est un texte politique (au sens où il a des effets sociaux) à décortiquer et qui fait le « bonheur » de l’analyste de discours que je suis, mais ce texte, je le répète, m’a mise en colère parce que quasi immédiatement il a produit un effet : des femmes qui s’étaient mises à parler se sont tues.

Avec qui, avec quoi vous sentez-vous en lien ?
De l’écran à la rue, il y a du passage et du lien, les réseaux sociaux et en particulier Facebook m’ont permis d’être au contact de personnes agissantes, curieuses, militantes, avec de l’humour aussi, bref ce média m’a ouvert des portes et des possibilités d’aller vers les autres et de tisser vraiment du lien social et amical. Je suis dans un grand nombre de projets, parfois apparemment très disparates mais où le lien entre les personnes est fort, j’aime bien mélanger amour, amitié et travail, la collaboration amenant des liens plus intimes, du partage, de l’affectif. Comme le joli titre du roman de Benoîte Groult qui m’a marquée jeune, il y a les vaisseaux du cœur, il y a les réseaux du cœur aussi.

Qu’est-ce qui titille votre curiosité ?
Les livres qui ne sont pas encore écrits et que j’aurai envie de lire, le renouvellement incessant de l’écriture et de l’émotion littéraire. Je lis tout, encore attachée au papier, à l’objet livre, l’ouvrir, lire l’incipit et se dire, j’y plonge, un polar, un essai, une autobiographie, une saga… l’écriture ne cessera jamais de me prendre et de m’emporter.
Docteure en langues et littératures romanes, Laurence Rosier est professeure de linguistique, d’analyse du discours et de didactique à l’ULB. Elle est l’auteure et co-auteure d’ouvrages sur la langue française, la citation, la ponctuation, mais aussi sur des sujets moins attendus comme les décrottoirs. Depuis de nombreuses années, elle s’intéresse à l’insulte. En 2006, elle publie un premier ouvrage sur le sujet, Petit traité de l’insulte, qui connaît en 2009 une réédition revue et corrigée. En 2017, elle poursuit ses réflexions dans un essai intitulé De l’insulte… aux femmes. Elle est aussi commissaire d’une exposition qui décortique la violence verbale. Présentée à Bruxelles, Paris, puis Lausanne, « SALOPE ! et autres noms d’oiselles » propose un parcours à la fois scientifique et artistique, de Marie-Antoinette à Nabila. Forte de son succès, cette expo revient à Bruxelles en mai 2018 à la Maison du livre.
Ces derniers mois, Laurence Rosier a beaucoup été sollicitée par les médias pour réagir à la prise de parole après l’affaire Weinstein, mais aussi pour donner un éclairage sur l’écriture inclusive… Elle est également l’auteure d’un premier texte autofictionnel qui accompagne les photographies de Shirley Hicter, reprises dans l’ouvrage Impertinentes. Actuellement, elle prépare une nouvelle exposition où il sera question de sexualité, nudité et pornographie.
Petit plus : Laurence Rosier évoque son travail dans une vidéo réalisée par le réseau R2DIP.