
Qu’est-ce qui vous enthousiasme actuellement ?
Très actuellement, c’est ma fille de quatre mois dont la joie inaltérable et le désir d’exister puissamment, si tôt, m’émerveillent. Ensuite, il y a ces poèmes inédits de ma maman, Véronique Wautier, une poète belge décédée en 2019, que l’on a retrouvés et qui vont faire l’objet d’un nouveau recueil de poésie, posthume, mais tout aussi beau et fort que ses onze recueils précédents. Enfin, je suis très excitée par mon nouveau projet : des chansons françaises dont j’ai écrit les textes et composé la musique. Elles abordent des émotions que j’ai traversées, non sans larmes. Des larmes qui m’ont permis de sortir d’un certain chaos. C’est la première fois que je me lance dans un projet où tout est issu de moi – j’ai plus l’habitude d’interpréter de la musique écrite par d’autres –, c’est à la fois exaltant et confrontant. Un premier concert aura lieu le 8 novembre prochain, à Arsonic à Mons, intitulé Les larmes, en prémices d’un album à venir.

Quelque chose à pointer du doigt dans votre métier ?
Très récemment, on me suggérait de “cacher le fait que je sois maman d’un jeune bébé” parce que ça diminuerait mes chances d’être embauchée pour un rôle… Des écueils issus d’une tradition patriarcale subsistent encore malheureusement dans certains milieux plus conservateurs. Heureusement, il y a aussi beaucoup de structures des arts de la scène qui sont très ouvertes et qui permettent aux femmes artistes de combiner leur métier et leur maternité.

Un moment d’indignation : envers qui, envers quoi ?
Je suis révoltée par le définancement structurel de la culture et particulièrement des arts vivants. Jouer, chanter, danser sur scène, en chair et en os devant un public prêt à vibrer physiquement et émotionnellement, cela me semble indispensable dans une société comme la nôtre où l’on est formaté de partout, parce que ça permet de faire réfléchir, d’agir et même de guérir. Or, il semble préférable pour nos structures dirigeantes que les individus ne pensent pas trop par eux-mêmes… On vit à une époque où la libre pensée, la critique et l’autonomisation sont fortement malmenées, cela m’inquiète beaucoup.

Avec qui, avec quoi vous sentez-vous en lien ?
Avec les personnes qui doutent (pour reprendre le titre d’une chanson d’Anne Sylvestre) et qui osent l’assumer, avec celles et ceux qui continuent à chercher, insatisfait·es de ce que ce monde propose et puis avec celles et ceux qui créent, qui transforment les matières brutes en merveilles. En ce moment, j’écoute beaucoup José Larralde, un chanteur folk argentin des années 60, et l’incontournable Colette Magny, dont la voix et les textes m’émeuvent. Ils ont en commun d’avoir douté du modèle de société capitaliste et de l’avoir dénoncé. Ils n’ont de ce fait pas eu la reconnaissance qu’ils méritaient mais sont restés très intègres, je suis très touchée par ce genre d’artistes.

Qu’est-ce qui titille votre curiosité ?
L’invisible… Le monde des énergies, de ce qui vit en deçà de nous, ce qui n’est perceptible qu’à travers l’intuition, l’ouverture en soi à d’autres espaces que ceux auxquels nous convie sans cesse notre pensée rationnelle omniprésente, à tout le moins surstimulée. Ces espaces subtils sont d’ailleurs le sujet d’un prochain spectacle, Les esprits, sur lequel je travaille avec la metteure en scène Françoise Berlanger.
La mezzo-soprano Pauline Claes chante depuis longtemps, depuis le temps des cabanes dans les arbres et des nuits remplies de créatures étranges. Formée au Conservatoire royal de Bruxelles (classique et jazz), elle se produit à l’opéra, sous les traits d’une reine baroque ou d’un·e héros/oïne mozartien·ne (Opéra de Valladolid, Festival Midsummer Mozartiades à Bruxelles), dans la peau d’une sorcière ou d’une gouvernante allumée comme on n’en trouve que dans les plus folles comédies musicales (Frankenstein Junior à l’opéra-thêatre de Metz), voire même transformée en étrange créature (rescapée de l’enfance ?) pour un spectacle de cirque ou adoptée momentanément par une compagnie de théâtre, comme Dérivation, Popi Jones ou Les Mains Sales. Elle fait aussi parfois de la musique très sérieuse, dite contemporaine, celle qui peut rebuter de prime abord mais qui lui permet d’explorer de nouveaux territoires vocaux, notamment avec le projet globe-trotteur Pierrot Rewrite avec l’ensemble Musiques Nouvelles, qui l’a emmenée de la Pologne au Chili en passant par l’Espagne. Plus récemment, c’est l’écriture de sa propre musique qui l’anime. Inspirées par la soul, la pop et le classique, ses chansons nous plongent dans un univers onirique et sensible. Sur les nappes électro de son clavier, la chanteuse s’apprête à faire groover les ombres et à libérer les larmes. Un premier concert est prévu à l’automne prochain à Arsonic (Mons). Pour l’heure, c’est dans le spectacle Frankenstein, de la compagnie de théâtre d’objets Karyatides, qu’on la retrouvera (les 4, 5, 6, 8, 10 et 11 mars au Théâtre Les Tanneurs à Bruxelles). (Texte de Pauline Claes)
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