
Qu’est-ce qui vous enthousiasme actuellement ?
J’ai cherché quelque chose qui m’enthousiasme actuellement dans le monde, et je n’ai rien trouvé aujourd’hui. Ça dépend sûrement des jours, même si je suis généralement plutôt dramatique.
Je vais dire apprendre à danser – toujours et incessamment apprendre à danser. C’est vraiment le chemin d’une vie, et j’ai la chance d’avoir des maestros incroyables.
Les brownies de ma sœur aussi, ça m’enthousiasme assez.

Quelque chose à pointer du doigt dans votre métier ?
Rien de spécifique au milieu de la danse, mais le sexisme au quotidien me pèse de plus en plus. Je crois que j’ai dépensé toute ma patience les 35 premières années, et il ne m’en reste juste plus. J’ai grandi dans un sud de la France bien méditerranéen, et j’ai retrouvé ces codes de soumission, toujours sous différentes formes, dans un milieu artistique prétendument ouvert. On m’a dit toute mon enfance que c’était bien pour une fille, mais qu’il faudrait en faire plus pour réussir (réussir à quoi ?). J’ai entendu comme nous toutes mille blagues dégueulasses où si on trouve ça dégradant, c’est parce qu’on n’a pas d’humour. Aux auditions en danse contemporaine, on était mille filles et cent mecs, cinq postes pour chaque sexe ; on nous demandait de la technique, quand on admirait la “présence scénique” de gars qui savaient juste pas tenir debout. J’ai bossé dans des théâtres, des opéras. J’ai été une pute quand les hommes étaient des dons Juans. J’ai été agressive quand les hommes étaient éloquents, négligente quand ils étaient cool, mal baisée quand ils étaient sérieux, et hautaine quand ils avaient confiance en eux.
Quand j’ai raconté me faire harceler ou agresser dans le milieu du tango, ce qui arrive à énormément de femmes comme partout, on m’a répondu que “ça n’est pas si grave”, “il ne fera rien”, “je le connais bien, il n’est pas comme ça” et autres “je ne veux pas prendre parti”. Voilà, j’aurais mille exemples, autant en Argentine qu’en Europe. Le sexisme, c’est long, long, long et fatigant parce qu’il faut toujours expliquer à des gens de bonne foi qui ne se sentent pas du tout concernés, et la plupart du temps, j’aimerais plutôt avoir la paix que de faire de la pédagogie.

Un moment d’indignation : envers qui, envers quoi ?
La palme du moment revient quand même aux climatosceptiques et aux politiques ignobles de consommation. Ensuite, on liste les mecs qui utilisent le terme “féminazies” (au secours). Les hashtags #prayforamazonia [priez pour l’Amazonie, ndlr] venant de ceux qui mangent de la viande industrielle, et ladite industrie de la viande industrielle (maximum crado scandale). Les discours abjects sur les migrants. J’ai écrit pour un concours un poème pour enfants, un texte sur les autres enfants du même âge (genre 8-12 ans, je crois), qui mouraient en mer. On m’a répondu que c’était super, mais non merci, car trop violent. J’ai pleuré en lisant ça : on n’avancera jamais.

Avec qui, avec quoi vous sentez-vous en lien ?
Ça rejoint la première question sur l’enthousiasme – même si je pense qu’il va y avoir la guerre climatique, la fin de notre monde et que les seuls survivants seront la lie de l’humanité, les riches très riches qui auront eu les moyens de se protéger de tout ce qu’ils auront détruit. Je me sens en lien avec toute une communauté de gens éveillés aux causes féministes et écologiques, connectés à des réalités naturelles, de la magie quotidienne et du respect. Des gens rares mais précieux.

Les résultats de la Ligue des Champions.
Danseuse et écrivaine, Claire Deville est l’auteure de deux romans autour du tango argentin Les Poupées Sauvages et des parfums Les Citrons. Elle est actuellement doctorante en art à la Cambre/ULB, où elle développe une réflexion créatrice sur l’écriture poétique du mouvement.